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Karol Mossakowski à l'orgue Grenzing de Radio France – L'instrument multiple au service de la transcription – Compte-rendu
Karol Mossakowski à l'orgue Grenzing de Radio France – L'instrument multiple au service de la transcription – Compte-rendu
S'il est un nom, parmi les figures montantes de la jeune école d'orgue, dont on parle abondamment depuis quelques temps et dans les termes les plus élogieux, c'est assurément celui de Karol Mossakowski (photo), né en 1990 dans une famille polonaise de musiciens. Formé au CNSMD de Paris, il a notamment remporté le Premier Prix du Concours International du Printemps de Prague (2013), le Grand Prix Jean-Louis Florentz d'Angers – Académie des Beaux-Arts (2015), le Grand Prix d’Improvisation de Chartres et le Prix International Boëllmann-Gigout de Strasbourg (2016). Un mois après un récital à Notre-Dame de Paris couronné de la Sonate de Reubke, sa prestation à l'orgue Grenzing de Radio France (1) ne pouvait que confirmer la qualité du musicien, sans pour autant satisfaire entièrement les attentes que l'annonce d'un tel programme avait pu susciter.
À l'origine principalement pour clavier ou orchestre, les œuvres relevaient toutes de la transcription – où l'on put sans peine deviner l'aisance de Karol Mossakowski au piano. Ouvert sur la magistrale adaptation-recréation pour orgue, signée Henri Messerer, de la Chaconne pour violon seul de Bach, superbe de lisibilité et de densité dans son déploiement structurel, la pièce profitant en l'occurrence de l'acoustique claire et si peu réverbérée de l'Auditorium, le programme se poursuivit avec Mendelssohn. Excellente idée, toute de discernement, que cette adaptation par Karol Mossakowski lui-même du Prélude et Fugue en si mineur op. 35 n°3 pour piano, qui convient infiniment mieux à l'orgue que le n°1 du même recueil, parfois entendu mais sans convaincre. L'équilibre « naturel » de ce diptyque en fit peut-être le moment le plus purement musical de la soirée, précision des attaques et polyphonie étant servies à merveille par le Grenzing dans son environnement boisé. Il en alla différemment des pages orchestrales, lesquelles exigent une perspective des plans sonores indéniablement à la peine dans un tel lieu : sans doute rien d'impossible, mais il faut trouver.
À l'origine principalement pour clavier ou orchestre, les œuvres relevaient toutes de la transcription – où l'on put sans peine deviner l'aisance de Karol Mossakowski au piano. Ouvert sur la magistrale adaptation-recréation pour orgue, signée Henri Messerer, de la Chaconne pour violon seul de Bach, superbe de lisibilité et de densité dans son déploiement structurel, la pièce profitant en l'occurrence de l'acoustique claire et si peu réverbérée de l'Auditorium, le programme se poursuivit avec Mendelssohn. Excellente idée, toute de discernement, que cette adaptation par Karol Mossakowski lui-même du Prélude et Fugue en si mineur op. 35 n°3 pour piano, qui convient infiniment mieux à l'orgue que le n°1 du même recueil, parfois entendu mais sans convaincre. L'équilibre « naturel » de ce diptyque en fit peut-être le moment le plus purement musical de la soirée, précision des attaques et polyphonie étant servies à merveille par le Grenzing dans son environnement boisé. Il en alla différemment des pages orchestrales, lesquelles exigent une perspective des plans sonores indéniablement à la peine dans un tel lieu : sans doute rien d'impossible, mais il faut trouver.
Karol Mossakowski © R; Kucavik
L'Ouverture du Tannhäuser de Wagner – version Edwin Lemare, d'une extraordinaire exigence – en offrit une piqûre de rappel, jusqu'à donner une impression de manque de souplesse dans les enchaînements de pupitres et de l'écriture elle-même. Avec un ressenti aussi défavorable, l'acoustique précédemment claire se faisant sèche, sans doute faut-il, pour contrer ce défaut d'épanouissement du son (ou perçu comme tel) et endiguer une apparente inertie dynamique, « ruser » plus que ne le fit Karol Mossakowski. Sans rien sacrifier de l'articulation, donc de la clarté, mais en propulsant inlassablement la matière sonore afin d'éviter une sensation de sur-place, il n'y a guère d'autre choix que de (ren)forcer, d'exacerber la couleur instrumentale et son impact, également par le rythme et sa liberté, entre lyrisme et caractère éruptif d'un romantisme invitant presque, ici, à surjouer afin d'occuper pleinement l'espace, si ce n'est à faire violence à son propre tempérament.
Transcrits par Louis Vierne et Gottfried Harrison Federlein, les Préludes op. 3 n°2 et op. 23 n°5 de Rachmaninov parvinrent presque à rétablir l'équilibre, quand bien même une ardeur plus volontairement appuyée eût été la bienvenue. Orpheus de Liszt transcrit par Louis Robilliard eut l'occasion de resplendir à bien des égards, notamment celui de la couleur. Sachant combien la continuité du discours demeure l'un des grands défis de Liszt, on peut imaginer ce qu'une insuffisante « pression » insufflée aux œuvres peut signifier d'embûches en termes d'éloquence narrative et dramatique.
L'un des Préludes de Chopin (n°4) joués aux obsèques du compositeur à la Madeleine vint préparer – superbement – le climat dans lequel devait surgir l'œuvre la plus ambitieuse du programme : la première Méphisto-Valse de Liszt, transcrite par l'interprète. L'une des difficultés du passage du piano à l'orgue tient à la différence, ou l'absence, du rebond sur lequel un pianiste peut compter dans son dialogue avec le clavier. Une difficulté sans doute irréductible pour maintes pièces. Le constat fut en l'occurrence douloureux, sans que l'on puisse déterminer la part exacte de la transcription de Karol Mossakowski et celle de sa préparation sur l'orgue de Radio France. Toujours est-il que de ce feu d'artifice dynamique qu'est Méphisto-Valse, peu de chose survécut. Et même, curieusement, sur le plan des timbres, les nombreux traits virtuoses, qui en paraissaient incertains voire inaudibles, reposant sur des registrations insuffisamment projetées, en rupture avec leur propre contexte. L'incomparable énergie de ce si redoutable chef-d'œuvre s'en trouva dispersée, amoindrie, la percussion certes anéantie (rien de plus logique) mais surtout non compensée. Le défi, d'ailleurs vaillamment abordé, était risqué et Karol Mossakowski ne semble pas (encore) avoir trouvé la solution à la fois musicale et instrumentale de la transposition à l'orgue de ce monument pianistique, donc de son éventuelle viabilité – les conditions acoustiques particulières de l'Auditorium compliquant assurément la donne.
Peut-être y avait-il aussi la pression résultant, pour l'interprète, de cette pole position en ouverture de la saison d'orgue de Radio France. Celle-ci (outre la participation du Grenzing à divers concerts symphoniques) se poursuivra le 20 décembre avec Thomas Ospital improvisant sur Le Mécano de la « General » (1926) de Buster Keaton ; le 17 janvier avec un récital de Stephen Tharp ; le 21 février avec un concert de jazz d'Andy Emler (orgue) et Dave Liebman (saxophone) ; le 18 avril avec un récital de Thomas Trotter ; enfin le 13 juin avec un programme faisant dialoguer Jean-Baptiste Monnot (orgue) et Benjamin Alard (clavecin et orgue), rejoints par le Quatuor Habanera (saxophones).
Michel Roubinet
L'Ouverture du Tannhäuser de Wagner – version Edwin Lemare, d'une extraordinaire exigence – en offrit une piqûre de rappel, jusqu'à donner une impression de manque de souplesse dans les enchaînements de pupitres et de l'écriture elle-même. Avec un ressenti aussi défavorable, l'acoustique précédemment claire se faisant sèche, sans doute faut-il, pour contrer ce défaut d'épanouissement du son (ou perçu comme tel) et endiguer une apparente inertie dynamique, « ruser » plus que ne le fit Karol Mossakowski. Sans rien sacrifier de l'articulation, donc de la clarté, mais en propulsant inlassablement la matière sonore afin d'éviter une sensation de sur-place, il n'y a guère d'autre choix que de (ren)forcer, d'exacerber la couleur instrumentale et son impact, également par le rythme et sa liberté, entre lyrisme et caractère éruptif d'un romantisme invitant presque, ici, à surjouer afin d'occuper pleinement l'espace, si ce n'est à faire violence à son propre tempérament.
Transcrits par Louis Vierne et Gottfried Harrison Federlein, les Préludes op. 3 n°2 et op. 23 n°5 de Rachmaninov parvinrent presque à rétablir l'équilibre, quand bien même une ardeur plus volontairement appuyée eût été la bienvenue. Orpheus de Liszt transcrit par Louis Robilliard eut l'occasion de resplendir à bien des égards, notamment celui de la couleur. Sachant combien la continuité du discours demeure l'un des grands défis de Liszt, on peut imaginer ce qu'une insuffisante « pression » insufflée aux œuvres peut signifier d'embûches en termes d'éloquence narrative et dramatique.
L'un des Préludes de Chopin (n°4) joués aux obsèques du compositeur à la Madeleine vint préparer – superbement – le climat dans lequel devait surgir l'œuvre la plus ambitieuse du programme : la première Méphisto-Valse de Liszt, transcrite par l'interprète. L'une des difficultés du passage du piano à l'orgue tient à la différence, ou l'absence, du rebond sur lequel un pianiste peut compter dans son dialogue avec le clavier. Une difficulté sans doute irréductible pour maintes pièces. Le constat fut en l'occurrence douloureux, sans que l'on puisse déterminer la part exacte de la transcription de Karol Mossakowski et celle de sa préparation sur l'orgue de Radio France. Toujours est-il que de ce feu d'artifice dynamique qu'est Méphisto-Valse, peu de chose survécut. Et même, curieusement, sur le plan des timbres, les nombreux traits virtuoses, qui en paraissaient incertains voire inaudibles, reposant sur des registrations insuffisamment projetées, en rupture avec leur propre contexte. L'incomparable énergie de ce si redoutable chef-d'œuvre s'en trouva dispersée, amoindrie, la percussion certes anéantie (rien de plus logique) mais surtout non compensée. Le défi, d'ailleurs vaillamment abordé, était risqué et Karol Mossakowski ne semble pas (encore) avoir trouvé la solution à la fois musicale et instrumentale de la transposition à l'orgue de ce monument pianistique, donc de son éventuelle viabilité – les conditions acoustiques particulières de l'Auditorium compliquant assurément la donne.
Peut-être y avait-il aussi la pression résultant, pour l'interprète, de cette pole position en ouverture de la saison d'orgue de Radio France. Celle-ci (outre la participation du Grenzing à divers concerts symphoniques) se poursuivra le 20 décembre avec Thomas Ospital improvisant sur Le Mécano de la « General » (1926) de Buster Keaton ; le 17 janvier avec un récital de Stephen Tharp ; le 21 février avec un concert de jazz d'Andy Emler (orgue) et Dave Liebman (saxophone) ; le 18 avril avec un récital de Thomas Trotter ; enfin le 13 juin avec un programme faisant dialoguer Jean-Baptiste Monnot (orgue) et Benjamin Alard (clavecin et orgue), rejoints par le Quatuor Habanera (saxophones).
Michel Roubinet
Paris, Auditorium de Radio France, 25 octobre 2017
(1) Concert qui sera diffusé sur France Musique le 4 janvier 2018
Sites Internet :
Saison 2017-2018 de Radio France, récitals d'orgue et concerts avec orgue
www.maisondelaradio.fr/concerts-avec-orgue
Karol Mossakowski
www.orgues-chartres.org/karol-mossakowski/
Photo © Vaiva Wronecka
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