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La Chauve-Souris de Roland Petit par le Ballet de l’Opéra de Rome au TCE - Les sept péchés capiteux - Compte rendu

Elégance, brio, piquant, sensualité, virtuosité, glamour, vitalité, bref sept péchés capiteux qui font de ce ballet un tourbillon enivrant : telle fut, avec La Chauve-Souris, la surprise venue du Ballet de l’Opéra de Rome, auquel sa nouvelle directrice d’origine italienne, Eleonora Abbagnato, vient de donner un formidable élan. Belle et intelligente, la blonde Eleonora, danseuse étoile célébrée de l’Opéra de Paris – où elle continue de se produire encore, ce qui ne laisse pas d’intriguer– a su rendre justice à son maître préféré, tout en proposant aux Parisiens un spectacle qui joue sur de multiples tableaux
 
A-t-on assez dit des ballets de Petit qu’ils étaient finis, vidés, démodés, que sa chorégraphie trop typée devenait caricaturale et qu’on n’en retrouvait plus l’esprit : aussi est-on heureux avec cette extraordinaire transposition qu’il fit de l’opérette de Johann Strauss fils, de pouvoir retrouver cette manière de génie qui imprégnait ses œuvres.
 
L’étonnant avec cette savoureuse Chauve-Souris, est qu’il a su y mêler astucieusement les joies de la Belle Epoque parisienne et celle d’une Vienne en proie à la griserie de la valse et autres friandises. Une sorte de Paris-Vienne, où le cadre légendaire de Maxim’s abrite les facéties de ces joyeux drilles, protagonistes d’une farce finalement très morale, puisque l’héroïne, Bella, après avoir reconquis son volage et volant mari Johann, finit par lui mettre des pantoufles, en lieu d’ailes.
 
Surprise de la qualité du Ballet de l’Opéra de Rome, dont on ne parlait guère et qui a incontestablement trouvé un souffle nouveau, servant à merveille cette chorégraphie créée pour le Ballet de Marseille et que les Parisiens ont pu voir en 1979, au TCE, déjà. Producteur
de l’époque, Albert Sarfati, père de l’actuelle productrice Vony Sarfati. Et aux commandes sur scène, les gambettes de Zizi, la beauté de Denys Ganio, père de  Matthieu Ganio, étoile de l’Opéra, et le vif argent de Luigi Bonino, interprète hors normes des fantaisies de Petit et qui, à ce jour, infuse sa bonne humeur et son brio au ballet. Une histoire de famille donc, et de fidélité, car Eleonora Abbagnato dont le côté piquant fit d’elle une parfaite interprète de Petit et notamment de Carmen, commença sa carrière dans la Belle au bois dormant du même, qui l’avait choisie pour être son Aurore-enfant, à 11 ans.

© Yasuko Kageyama
 
Surprise aussi de l’excellence des solistes : on est absolument séduits par la féminité, la beauté, la félinité de l’exquise Rebecca Bianchi, étoile de l’Opéra de Rome, nommée par Abbagnato. La finesse de son interprétation, ses jolies pointes, l’esprit avec lequel elle campe en légèreté ce personnage  contrasté en font un régal. En alternance avec la divine Iana Salenko, étoile berlinoise à ce jour et que les parisiens purent découvrir lors des Galas des Etoiles de la Danse, les années passées. Du côté des messieurs, Abbagnato a su fréter pour faire briller sa compagnie quelques unes de plus belles figures de la danse actuelle, et notamment le superbe Friedemann Vogel, vedette du ballet de Stuttgart, le plus grand des danseurs allemands, le plus demandé dans le monde, sauf en France… L’élégance, la nonchalance avec laquelle il plane et virevolte, la spirituelle désinvolture avec laquelle il enchaîne ses pirouettes, ont secoué un public absolument enthousiaste.
 
Chorégraphie brillante, enlevée par une troupe en grande forme, on l’a dit, et dont on déguste les inventions et les amusantes références : en fausse tzigane, vêtue d’un de ces maillots justaucorps signés Luisa Spinatelli et qui étaient l’une des marques du style Petit, Bella effectue  un léger pastiche de la variation finale de Kitri dans Don Quichotte, développe quelques ronds de jambes de la Belle au Bois dormant, tandis que le ballet des garçons de café, rehaussé d’un léger cancan, donne le tournis. S’y esquissent aussi, grâce aux jambes ailées des danseuses, quelques figures d’une reprise d’équitation par les lipizans de l’Ecole de Vienne dans leur Manège d’hiver, le tout d’un goût parfait, grande performance pour ce type de divertissement. On  regrette d’autant plus que ce  ballet qui vole à travers le monde, de l’Opéra de Vienne au Ballet de Tokyo, n’ait jamais été montré à l’Opéra de Paris, où il aurait tellement eu sa place. Sans oublier la performance de l’Orchestre Lamoureux, endiablé et jouissif, sous la direction d’un David Garforth  touché par la bonne humeur générale.
 
Jacqueline Thuilleux

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 La Chauve-Souris (chor. R. Petit / mus. J. Strauss fils) -Paris, TCE, le 15 janvier 2017.
 Prochain spectacle de la série Transcendanses : Ballet de Norvège, TCE, les 29, 30 et 31 mars 2017/ www.theatrechampselysees.fr
 
Photo © Yasuko Kageyama

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