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La Chronique de Jacques Doucelin - Au concert comme à l’opéra, le portable recule, la toux progresse

Eh bien oui, vous me croirez si voulez, mais les choses changent en mieux, à la longue certes, mais il est possible d’éduquer le public pour peu qu’on y mette les moyens et beaucoup de bon sens. Avez-vous ainsi remarqué qu’il est devenu aujourd’hui rarissime, à l’opéra comme au concert, de surprendre une sonnerie de portable intempestive ? Les interventions en voix off en début de soirée comme les stridulations de sonnettes amplifiées dans les théâtres sont pratiquement venues à bout de la négligence d’un public mal élevé.

Là où tout reste à faire, en revanche, c’est dans la lutte contre les quintes de toux. Dernier exemple en date, le concert du Philharmonique de Radio France salle Pleyel, le 23 février, où l’entrée du piano au premier mouvement du 2e Concerto de Chopin a été presque inaudible en raison de la grossièreté de certains qui ont éprouvé le besoin d’expectorer à gorge déployée à ce moment précis. Et ils ne se sont pas arrêtés là : l’auditeur moyen auquel je me flatte de ressembler fut bien incapable de se concentrer sur la musique durant la totalité du mouvement introductif, les beaufs semblant s’être donné le mot pour se faire écho d’un bout de la salle à l’autre !

Une oreille exercée percevait sans peine que les musiciens eux-mêmes, soliste compris, ne sortaient pas indemnes de ce traitement inadmissible de la part d’un public qui s’imagine qu’il achète avec le prix du billet le droit d’importuner en toute impunité les artistes comme ses voisins. Il se trouve que la présence au clavier d’Evgeny Kissin dans une forme extraordinaire a rendu la soirée inoubliable pour les vrais mélomanes. Mais il avait fallu sacrifier tout un mouvement à la vulgarité et à la grossièreté de certains individus des deux sexes.

Ce n’est tout de même pas trop demander que d’apprendre à tousser dans son mouchoir - fût-il de papier ! – dans son cache-col, voire dans sa manche de veste ou de manteau ! Or, les conditions d’une bonne écoute constituent quand même le minimum du confort que les responsables de salles de concerts doivent à leurs clients… Alors, il faut donc leur redire une nouvelle fois (nous l’avons déjà fait la saison dernière…) qu’il leur suffit de s’inspirer de leurs collègues anglo-saxons en consacrant une demi page, voire toute une page, de leurs précieux programmes à des pictogrammes montrant aux catarrheux chroniques et satisfaits d’eux-mêmes comment s’y prendre pour faire moins de bruit en expectorant.

Mais eux qui sont toujours en quête de mécènes, que ne proposent-ils pas à un fabricant de mouchoirs en papier de distribuer des échantillons de leur marchandise avec un petit logo à l’entrée de la salle ! Il n’est pas interdit dans le même temps de s’interroger sur les raisons véritables et sociologiques d’une attitude aussi anti-musicale de la part de gens qui ont du moins l’excuse d’être novices au concert et d’avoir quitté leurs pantoufles, leur scotch et l’écran plat de leur salon à l’invitation d’une firme quelconque qui a cru leur faire plaisir. Cette inculture musicale constitue en quelque sorte un effet secondaire du mécénat… Je ne plaisante pas. Et il serait bon de commencer à y réfléchir dans la perspective de la fameuse Philharmonie de Paris dont il faudra bien remplir les 2.400 fauteuils, si on l’ouvre un jour.

Ou bien, on continuera sur la lancée actuelle à faire appel au mécénat d’entreprise avec les risques et les couacs qu’on vient de voir, ou bien il faudra bien se décider à baisser de façon drastique le prix des places pour permettre à la classe moyenne qui conserve encore de l’intérêt pour la culture, mais dont le pouvoir d’achat baisse cruellement et qui préfère investir dans des biens durables comme le livre, le CD ou le DVD, d’y venir régulièrement. A ceux qui phosphorent sur ce grandiose projet, je soumettrai en conclusion une « chose vue » l’an dernier lors d’un reportage d’une de nos chaînes publiques sur des personnes contraintes à faire les poubelles des grandes surfaces. Pourquoi venez-vous ici, demande le journaliste à un homme grisonnant : « pour pouvoir m’acheter des disques de Michel Chapuis. »

Tout est dit de la soif profonde de culture de la population. Ah pardon, j’oubliais de vous dire que Michel Chapuis est l’un de nos plus grands organistes, de nos plus grands musiciens tout court. Mais évidemment, il n’est pas encore coté au CAC 40…

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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