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La Chronique de Jacques Doucelin - Au paradis avec Messiaen

Cette année de célébration du centenaire de la naissance d'Olivier Messiaen se termine en apothéose et en couleurs avec la parution d'un magnifique album signé Anik Lesure et Claude Samuel (Editions Symétrie). Car, de celui dont le cerveau associait systématiquement et spontanément des couleurs à tous les sons, et vice versa, on pouvait dire sans risque de se tromper: « son oeil écoute, son oreille voit ». Sans doute est-ce dans sa dilection pour la gent ailée, qui le destinait à l'ornithologie comme aux Fioretti de François d'Assise, qu'il faut voir la principale conséquence de cette caractéristique physiologique du plus grand compositeur français de la seconde moitié du XXe siècle. Ce livre magnifiquement illustré donc évoque tous les aspects d'une personnalité plus complexe qu'il n'y paraissait au premier abord.

Car celui qui se cachait volontiers derrière la foi du charbonnier possédait l'une des intelligences les plus aiguës du monde musical qu'il dominait avec humilité du haut de sa tribune de l'église de La Trinité. Du monde entier, on venait l'y entendre improviser à l'orgue, de 1931 à sa mort. C'est bien sûr dans sa classe du Conservatoire de Paris qu'il exerça une profonde influence sur la jeune génération de musiciens européens; de Boulez à Xenakis en passant par Stockhausen, Gilbert Amy, Michel Fano, Betsy Jolas, François-Bernard Mâche et bien d'autres. Car avec son regard pénétrant derrière les grosses lunettes, c'était un pédagogue-né, un accoucheur d'artistes.

Ses disciples évoquent ici le maître de façon particulièrement vivante, éclairant chacun des pans de sa création. Olivier Latry et Loïc Maillé parlent de l'orgue, Amy de l'héritage, Boulez de modernité, Fano d'opéra, Albéra du rythme, Mâche de l'ornithologue... Témoignent aussi ses interprètes privilégiés: l'épouse Yvonne Loriod, Pierre-Laurent Aimard, Myung Whun Chung. Last but not least, Seiji Ozawa ! Le grand chef nippon, disciple de Charles Munch, a relevé le défi de créer à l'Opéra de Paris le grand oeuvre messianique Saint François d'Assise. Tout Messiaen est entré dans cette somme: la foi, les oiseaux, les rythmes de l'univers comme la symbolique des couleurs ou les vitraux de la Sainte Chapelle. Messiaen avait même tenu à dessiner lui-même les ailes quinticolores de l'Ange qu'incarnait magnifiquement la grande Christiane Eda-Pierre...

Ozawa a brillamment payé sa dette au maître avec ce mélange de gentillesse et d'esprit qui le caractérise, lors de sa réception à l'Académie des Beaux Arts où Hugues Gall l'a accueilli au fauteuil de Yehudi Menuhin. Ce très grand chef, infatigable serviteur de la musique française, de Poulenc à Henri Dutilleux, méritait bien d'entrer sous la coupole parmi les ombres de Rostropovitch et de Messiaen qui l'y avaient précédé. En assistant à cette cérémonie, on se prenait à rire en songeant à ce journaliste américain qui dénonce le recul de la culture française: il a simplement oublié la musique... Peut-être est-il sourd !

A propos de livre et de chef, en voici un qui vient de sortir sous la plume de Michel Tabachnik (De la musique avant toute chose, Buchet Chastel) qui porte magnifiquement témoignage sur ses compositeurs fétiches : Boulez, Xenakis, Bartok, Richard Strauss. Il y a dans ces lignes du chef suisse autant d'amour que d'intelligence: de quoi éclairer l'éternel débat sur la modernité tel que le pose Régis Debray dans une préface qui est celle d'un honnête homme.

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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