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La Chronique de Jacques Doucelin - Bravo pour la nouvelle salle ! Reste à former le public

L’annonce officielle, solennelle et conjointe faite par le ministre de la culture et le maire de Paris en personne de la construction d’une grande salle de concerts à la Villette, dans le prolongement de la Cité de la Musique, a fait l’effet d’une bombe musicale. Même Pierre Boulez accouru pour la circonstance de Baden-Baden où il était en congé sabbatique, ne cherchait à dissimuler ni son étonnement ni son émotion de voir ses efforts enfin récompensés. Il faudrait être irresponsable pour ne pas se réjouir de la réalisation des vœux de tous les musiciens parisiens, à quelque formation qu’ils appartiennent. Une structure de préfiguration regroupant Ville et Etat va être mise en place dans la foulée afin d’organiser le concours architectural et de définir les caractéristiques du nouvel équipement.

Ce qui a débloqué les négociations entre la Ville et l’Etat, c’est la décision de Bertrand Delanoë de participer, à part égale comme l’exigeait l’Etat, à l’opération. Décision qui s’accompagne du souhait d’associer la Région Ile-de-France au fonctionnement du nouvel outil. Dans l’atmosphère de compétition exacerbée entre droite et gauche un an avant les échéances électorales, ce consensus dans la politique culturelle de la capitale a d’autant plus surpris les observateurs. Raison de plus pour se réjouir, sans arrière-pensée, d’un accord qui a volé la vedette à l’annonce de la saison de réouverture de la salle Pleyel, qui était l’objet premier de la conférence de presse organisée à la Cité de la Musique.

Dommage, car son directeur Laurent Bayle a mis les petits plats dans les grands pour donner une vraie cohérence à un projet qui regroupe notamment les résidents, l’Orchestre de Paris et le Philharmonique de Radio France, ainsi que des producteurs privés qu’il faut insérer au mieux dans une programmation construite autour de thèmes. Laurent Bayle a, en outre, passé une convention avec l’une des principales phalanges européennes, le London Symphony Orchestra, pour une résidence annuelle. Dès la prochaine saison, il donnera deux soirées Beethoven avec Bernard Haitink, en septembre, avant un concert Mozart avec Sir Colin Davis, en janvier 2007, et un concert Debussy-Strawinsky dirigé par Valery Gergiev, en avril.

La joie de voir Paris sortir, enfin, de sa pénurie d’auditorium symphonique ne doit pas empêcher de poser certaines questions. La présence à la tribune ministérielle du directeur de Radio France a été l’occasion de confirmer la construction d’une autre nouvelle salle de 1.500 places dans la Maison ronde qui y produira à partir de 2012 ses propres formations. Ce qui suppose une redistribution des rôles de chaque salle symphonique à Paris. Faisons, voulez-vous, un rapide calcul. En 2012 donc Paris disposera d’un parc de salles de concerts considérable qui comprendra la grande salle de La Villette (2.200 à 2.500 places annoncées), l’auditorium modulable de la Cité de la Musique (800 à 1.000 places), Pleyel (1.920 places), l’auditorium de Radio France (1.500 places) et la salle Gaveau parfaitement rénovée (1.000 places). Soit un total de quelque 6.500 fauteuils à vendre tous les soirs. Va donc se poser obligatoirement un problème de rentabilité dans l’exploitation de tout ce parc symphonique. Il faudra trouver suffisamment d’orchestres et d’artistes en tous genres pour s’y produire ainsi qu’un nombre accru de mélomanes pour venir les écouter.

L’honnêteté oblige à dire que la construction d’un nouveau lieu n’aura de sens que s’il s’accompagne d’un effort non moins considérable - même si son coût financier reste infiniment moindre ! - pour préparer le renouvellement du public grâce à la formation des plus jeunes. On se souvient que la réforme Landowski créant orchestres, opéras et conservatoires sur tout le territoire dans les années 60-70 a bénéficié du travail des JMF dans l’immédiat après-guerre qui avait formé un public disponible et préparé. Mais depuis, les choses ont bien changé. Les principales institutions musicales parisiennes et régionales (les Opéras comme les Orchestres Nationaux de région) ont toutes été contraintes de créer un département Jeune Public dont le rôle est essentiel dans le renouvellement du public.

Il ne reste plus à l’Etat et à la Ville de Paris qu’à fédérer, conseiller et aider ces excellentes initiatives. Et surtout à les faire connaître en organisant, une ou deux fois l’an, un grand concert classique pour les jeunes sous la direction d’un chef charismatique à l’auditorium de la Villette, voire en attendant au Zénith, pour y attirer la télévision. Ce serait l’occasion de réunir au niveau national ceux qui ont ouvert la voie en ce sens et qui savent comment s’y prendre. A commencer par Jean-Claude Casadesus et Claire Gibault pour leur travail exemplaire à Lille et à Lyon. On s’est bien mis d’accord sur la construction d’une salle, il n’est pas plus difficile de lancer un comité pour la formation du jeune public dont la présidence reviendrait tout naturellement à Pierre Boulez.

Jacques Doucelin

Lire les précédentes Chroniques de Jacques Doucelin :
- Et la musique dans tout ça ? Le monde lyrique menacé de schizophrénie.
- A nouvelle année, nouveaux visages
- Couacs dans l’année Mozart !
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Photo : DR
 

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