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La Chronique de Jacques Doucelin - Musique et pouvoir d’achat

Laurent Bayle, le fringant et heureux patron de la Cité de la Musique et de Pleyel, a profité de la conférence de presse où il a dévoilé la prochaine saison de la salle rénovée de fond en combles, pour dresser le bilan de la réouverture du lieu. Plus de 90% de taux de remplissage, tous spectacles confondus autorisent tous les espoirs et tous les optimismes. Aucun doute que par delà l’effet d’aubaine et de curiosité provoqué par la rentrée dans le jeu musical parisien de Pleyel, la réussite esthétique et acoustique de sa restauration a été appréciée par les mélomanes et la critique dans son ensemble.

Pour être complètement objectif, il faut aussi ajouter le fait que les prix y sont généralement inférieurs à ceux pratiqués par les autres salles de concerts parisiennes. C’est ainsi que la seconde soirée qu’y a donnée début mars la Philharmonie de Berlin était beaucoup plus abordable que ce qu’auraient pu proposer les autres exploitants de salles parisiens. Cela tient, bien sûr, au fait que l’activité de Pleyel est largement subventionnée. On se souvient que sa gestion artistique a été confiée par les tutelles – les ministères de la Culture et des Finances – à une société filiale de la Cité de la Musique. Un homme symbolise d’ailleurs cette filiation, c’est Laurent Bayle responsable de l’activité de la Cité de la Musique, de la programmation de son auditorium, de 800 à 1000 places selon la configuration, et du projet de construction d’une grande salle de 2.200 places dont l’inauguration est prévue pour 2012 dans le Parc de La Villette.

Et l’on assiste d’ores et déjà à l’ébauche de croisements dans les programmations des deux lieux déjà existants en vue d’en croiser aussi les publics. A terme, la gestion des deux salles devrait s’apparenter à celle du Palais Garnier et de la Bastille par l’Opéra de Paris : autant dire, complémentarité, et surtout pas de concurrence. Pour avoir fréquenté régulièrement les deux entités gérées par Laurent Bayle, on peut dire que l’opération a été profitable aux deux. On ne saurait en dire autant, hélas, des autres salles de concerts parisiennes, essentiellement le Théâtre des Champs-Elysées et le Châtelet à un moindre degré, frappés par une concurrence moins sauvage qu’attendue avec inquiétude.

Cette inquiétude était justifiée. Dans la belle salle récemment rénovée de l’avenue Montaigne, les dégâts se sont étendus à toute son activité, de l’opéra au symphonique en passant par les récitals. Les prix relativement "démocratiques" pratiqués par Radio France ont permis de limiter l’hémorragie d’auditeurs pour l’Orchestre National de France. Mais le Théâtre des Champs-Elysées reste une salle "privée", même si elle bénéficie d’une substantielle subvention de son propriétaire, la Caisse des Dépôts et Consignations. Celle-ci n’équivaut évidemment pas à l’aide de l’Etat et de la Ville de Paris à l’Opéra de Paris pour le premier et au Châtelet pour la seconde.

Ce qui explique l’envolée des prix pour les opéras – souvent baroques – produits par le Théâtre des Champs-Elysées : la clientèle n’est dès lors plus extensible quel que soit l’appel au mécénat privé en la circonstance. Il y est d’ailleurs régulièrement recouru par les divers organisateurs de concerts se produisant au Théâtre des Champs-Elysées : on voit ainsi débouler dans la salle d’Auguste Perret nombre d’invités néophytes de grandes firmes industrielles. Pourquoi pas ? Qu’il soit néanmoins permis de remarquer qu’il ne s’agit pas en l’occurrence d’une fidélisation du public.

La situation du Châtelet est à l’évidence bien différente, du fait de l’importance de la subvention municipale, d’une part, et de la prise de fonction d’un nouveau directeur, d’autre part. M. Jean-Luc Choplin, en effet, a tenu à engager, à la demande du maire de Paris, une nouvelle politique artistique au Châtelet, marquant notamment un retour à ses origines en ouvrant sa saison avec un tube de l’ère Francis Lopez Le Chanteur de Mexico. La manœuvre n’a malheureusement pas été plébiscitée par le public qui a quelque peu boudé ce premier spectacle. En revanche, Candide et La Pietra del paragone ont affiché d’excellents scores. Mais pas au point d’éviter au successeur de Jean-Pierre Brossmann, les affres d’un déficit que l’intéressé chiffre lui-même à quelque trois millions d’euros. C’est beaucoup pour une première saison. Il est vrai que la Ville de Paris n’a pas actualisé sa subvention qui s’élève à 17 millions d’euros. Voilà quatre ans qu’elle n’a pas connu d’augmentation. Certes. Mais on pourrait faire remarquer que cette stagnation n’a pas empêché M. Brossmann de laisser à son successeur un "fonds de roulement" d’un million et demi avalé en moins de six mois ! C’est d’autant plus inquiétant que le maire de Paris semble vouloir baisser le niveau des productions du Châtelet afin d’économiser. Or, il est bien connu dans le monde du spectacle que la pacotille coûte beaucoup plus cher que la qualité.

Pour l’heure, c’est le prochain opéra, Carmen (du 10 au 28 mai), qui est dans le rouge, la metteuse en scène Sandrine Anglade ayant été congédiée malgré ses efforts pour se conformer aux nouvelles exigences de Jean-Luc Choplin, et sa production remplacée in extremis par celle du Staatsoper de Berlin signée de le sulfureux Autrichien Martin Kusej. Toréador en garde : il est urgent d’attendre. Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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