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La Clemenza di Tito à l’Opéra de Genève / Opéra des Nations – Mozart creusé et transcendé – Compte-rendu

Ouverture de saison fin août pour le Grand Théâtre de Genève sis à l’Opéra des Nations, avec un concert lyrique à tous égards exceptionnel : La Clemenza di Tito. Il s’agit, de fait, d’un appendice, en version de concert, à la série des représentations de cet opéra de Mozart au dernier festival de Salzbourg. Puisque l’on retrouve les mêmes maîtres d’œuvre, à quelques noms près dans la distribution vocale, et la même conception.

Teodor Currentzis © Carole Parodi
 
Cette conception résulte du travail commun entre le metteur en scène Peter Sellars et le chef d’orchestre Teodor Currentzis. Ou deux personnalités saillantes qui savent allier ces vertus apparemment dissemblables que sont la liberté et la rigueur. Sellars n’est plus là à Genève, mais le concert présenté est le fruit de sa collaboration avec Currentzis, comme l’explique en détail le programme de salle (par notamment les commentaires des deux complices) : « avec le plus grand respect et le plus grand amour pour le compositeur ». C’est ainsi que l’ultime opéra de Mozart se retrouve réduit à son squelette, à savoir les arias, qui sont de la plume même de Mozart, en tranchant vigoureusement dans les récitatifs, eux écrits par Sussmayer. Et pour faire bonne mesure, et quelque peu rétablir la durée normale d’une soirée d’opéra, avec l’insertion d’autres pages de Mozart à caractère religieux, des extraits de la Messe en Ut essentiellement, afin d’en accentuer le caractère tragique. « Livret révisé et partition arrangée par Teodor Currentzis », comme le signale honnêtement le programme de salle.

© Carole Parodi
 
La réalisation, si elle peut surprendre de prime abord, séduit puis convainc. Par son intensité même, en dehors de tout support de mise en scène. Mais aussi grâce à la puissance proprement tellurique que sait insuffler le chef. C’est ainsi que chacun des participants semble investi d’une mission : celle d’une transmission exacerbée. Depuis l’orchestre MusicAeterna, et ses cordes debout soulevées d’excitation, au Chœur de l’Opéra de Perm, les ensembles habituels de Currentzis qu’il a su porter aux sommets, jusqu’au plateau vocal. Karina Gauvin, Anna Lucia Richter et Stéphanie d’Oustrac rivalisent de maîtrise vocale et d’expression pour conférer à Vitellia, Servilia et Sesto les plus vibrantes incarnations. Maximilian Schmitt dispense un Tito, l’empereur romain au grand cœur, un legato de ténor aux appropriés changements de registres. Jeanine de Bique jette un Annio aux jolies notes filées. Et le vétéran Willard White plante crânement un occasionnel Publio. Ces deux derniers, seuls rescapés de la production salzbourgeoise. Pour dire également que le concert genevois a su offrir un autre visage musical, tout aussi immanent.
 
Dans l’acoustique favorable de l’Opéra des Nations, installation pour cette saison encore du Grand Théâtre de Genève (dans l’ancienne salle provisoire, toute de bois, transplantée de la parisienne Comédie-Française), la soirée verse dans la profondeur musicale tout autant que dramatique. La battue survoltée de Currentzis sait jouer de nuances, dans des tempos souvent retenus et des silences suspendus, auxquels répondent des interprètes qui ne ménagent pas leurs équilibres, depuis des piano imperceptibles à des forte saisissants. Des éclairages de scène travaillés, et pareillement nuancés, ajoutent à l’impact général pour un moment lyrique de théâtralisation intériorisée. Une version renouvelée de l’œuvre dans une transmission tout aussi hors des conventions, aptes à creuser le beau message de tolérance de l’ultime chef-d’œuvre lyrique de Mozart.
Notez que l'ouvrage sera repris, avec une distribution inchangée, le 15 septembre au théâtre des Champs-Elysées.(1)
 
Pierre-René Serna

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(1) www.concertclassic.com/concert/la-clemenza-di-tito

Mozart : La Clemenza di Tito (version de concert) – Genève - Opéra des Nations, Genève, 27 août 2017.
 
Photo © Carole Parodi

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