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La Compagnie La Tempête et l’Ensemble Les Surprises au Festival Sinfonia en Périgord – Talents en fratrie – Compte-rendu

Directeur artistique attentif depuis toujours aux jeunes solistes et ensembles qui apportent un regard neuf sur un monde baroque parfois victime d’une forme d’institutionnalisation, David Théodoridès ne pouvait passer à côté des frères Bestion de Camboulas, Simon-Pierre (né en 1988) et Louis-Noël (né en 1989), respectivement à la tête de la compagnie La Tempête et de l’ensemble Les Surprises. Depuis 2015, une belle complicité se noue entre le festival périgourdin et ces deux formations. L’édition 2017 aura permis de les retrouver, l’une à la suite de l’autre, au cours de la même journée.

A Sorges, petite cité connue pour son musée de la truffe, à une bonne vingtaine de kilomètres de Périgueux, la belle église romane Saint-Germain d’Auxerre, récemment – et admirablement ! – restaurée (1), offre un cadre idoine au programme de La Tempête. Salle comble : quelle plus belle récompense pour les organisateurs que de pouvoir faire ce constat, d’autant qu’il s’agit d’un lieu que Sinfonia en Périgord investit pour la première fois, avec un programme exigeant de surcroît.

Comme Simon-Pierre Bestion l’expliquera au public en des termes très pudique à la fin du concert, un deuil familial l’hiver dernier l’a conduit à faire évoluer un projet intitulé « Erasme où l’âge d’or de la polyphonie » dans une direction plus sombre que celle envisagée initialement. Pour reprendre sa formule, c’est plutôt un « Requiem d’Erasme » que forme un programme embrassant dix siècles de musique occidentale, d’un plain-chant grégorien du IXe siècle au tryptique des Canti Sacri (1958) de Scelsi (2) dont les volets sont intelligemment dispersés parmi des pages de Févin, Desprez, Janequin, Susato, Gombert, Sutton, Mouton et Flecha.

Simon-Pierre Bestion © Sinfonia en Périgord

Dès l’Introït tiré du Requiem de Févin toute la singularité de La Tempête s’impose à l’oreille. Sur le programme, en face du nom de chaque chanteur, la mention soliste : Simon-Pierre Pierre Bestion ne demande en effet aucunement aux individualités qui composent son chœur (huit membres ici) de s’effacer au profit d’une masse. Tout au contraire, dans une optique que l’on pourrait rapprocher de celle de Graindelavoix, le chef conjugue une parfaite cohésion du groupe avec une prise en compte incessante de la couleur, du matériau vocal propres à chacun de ses membres.
Le résultat s’avère d’autant plus prenant que, fidèle à son habitude, La Tempête exploite l’espace dont elle dispose, modifiant la position des chanteurs (leur nombre varie selon les pièces) dans l’église pratiquement à chaque morceau. Partant, le concert, impeccablement réglé et d’une fluidité parfaite, possède un relief étonnant, accentué par le sens de la pulsation de Simon-Pierre Bestion.

© © Sinfonia en Périgord

On voudrait insister sur chaque morceau, tant le projet (dont c’est la première exécution en public) convainc. Contentons-nous de saluer la densité de la Déploration sur la mort d’Ockegehm de Desprez, un Chant des oiseaux de Janequin ébouriffant de vie, des Scelsi d’une fascinante et hypnotique précision, à laquelle l’acoustique rend pleinement justice, ou encore le Nesciens mater de Mouton pour lequel les chanteurs se répartissent en demi-cercle dans le bas-côté gauche, donnant à chaque auditeur la merveilleuse illusion d’être la caisse de résonance de la musique. Et il ne faudrait surtout pas oublier l’étonnant Salve Regina de John Sutton (1400-1487), vaste composition (une grosse douzaine de minutes) que Simon-Pierre Bestion a découverte sur les conseils de Paul Van Nevel. La Tempête en maîtrise les complexes entrelacs avec une confondante lisibilité des voix - et une humanité du propos qui fait honneur à grande figure de la Renaissance inspiratrice du concert.
Enorme succès – Chant des oiseaux bissé ! – pour un programme que l’on espère vite réentendre en d’autres lieux.

© Louis-Noël Bestion de Camboulas © Lucien Lung

Après Simon-Pierre et La Tempête, rendez-vous pour le concert du soir avec son frère Louis-Noël et Les Surprises à l’abbaye de Chancelade, haut lieu de Sinfonia en Périgord. Le public se presse en nombre pour découvrir un original programme « Confidences sacrées », qui réunit des petits motets de Campra, Bouteiller, Joseph Valette de Montigny, des extraits (vocaux et instrumentaux) de la « tragédie tirée de l’Ecriture sainte » Jephté de Michel Pignolet de Montéclair, et des pages instrumentales de Clérambault et Brossard. D’une construction très équilibrée, il rassemble des pièces destinées à une exécution dans un cadre privé, intime.

Cécile Achille, Stéphane Collardelle, L.-N. Bestion de Camboulas (de dos) & Romain Bockler © Sinfonia en Périgord

Louis-Noël Bestion de Camboulas et ses troupes nous embarquent dans un beau voyage musical avec l’Ouverture de Jephté, menée avec autant de finesse que de sens narratif. Loin de toute pompe versaillaise, la musique donnée ici exige des interprètes une incessante capacité à raffiner le propos, à tirer au maximum parti d’une palette instrumentale resserrée (7 instruments sur scène, en plus du chef qui alterne entre orgue et clavecin). Les Surprises nous comblent par le raffinement et la saveur des timbres, autant que par la présence d’un trio vocal parfait dans ce répertoire, du soprano lumineux de Cécile Achille à la plénitude et à l’autorité sans emphase du baryton Romain Bockler, en passant par la tendre expressivité du ténor Stéphane Collardelle.
Trouvant la teinte juste et la nuance exacte, les musiciens des Surprises permettent aux solistes de pleinement épanouir leurs interventions. Quant aux épisodes instrumentaux, difficile de résister, dans Jephté, à l’élan souriant des Tambourins, des Rigodons et Canarie, ou à la poésie veloutée de la Loure, tout comme, dans la Simphonie à 5 de Clérambault, à la plénitude harmonique du propos.

Belle découverte enfin que le Motet Parce mihi domine à trois voix (1701) de Joseph Valette de Montigny (1665-1738), compositeur bien oublié dont l’activité se partagea entre Béziers, Narbonne et Bordeaux. Retrouvée à la BnF par Louis-Noël Bestion de Camboulas, cette partition d’une écriture très sensuelle mérite pleinement d’être exhumée. Une piste pour un prochain enregistrement ? Consacré aux Eléments, opéra-ballet de Destouches et Delalande, le dernier CD (Ambronay Editions) des Surprises a en tout cas prouvé que la rareté leur réussit.

Excellente nouvelle, le programme « Confidences sacrées » sera repris le 23 septembre au Festival Musica Divina de Malines (Belg.), le 24 au Festival Baroque de Pontoise, puis le 27 septembre à la cathédrale de Bordeaux. (3)

Alain Cochard

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Sorges et Chancelade, le 30 août 2017

(1) Les travaux ont été effectués de 2010 à 2013. Un orgue de style allemand, signé François Delhumeau (La Chausssade/Creuse) a été construit en 2014 et inauguré en juillet 2015 / orgue-aquitaine.fr/Orgue-de-Sorges-eglise-Saint-Germain-d-Auxerre.html

(2) Une rencontre du passé et de la modernité qui caractérise également « Azahar », le dernier et admirable CD de La Tempête (œuvres de Machaut, Stravinsky, Alfonso X El Sabio & Ohana) – 1CD Alpha-Classics (dist. Outhere)
(3) www.les-surprises.fr/agenda-concerts/

Photo © Sinfonia en Périgord

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