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La Création de Haydn sous la direction d’Andrès Orozco-Estrada – Et la musique fut – Compte-rendu

 

« Jamais, déclara un jour Haydn, je n’ai été aussi pieux qu’à l’époque où je travaillais sur La Création. Il ne se passait point de jour que je ne tombasse à genoux en priant Dieu de m’accorder la force nécessaire pour mener cette œuvre à bien ». Et le public du TCE, s’il n’est pas tombé à genoux, les a vivement redressés pour faire au chef-d’œuvre, interprété avec une formidable conviction par l’Orchestre National de France mené par le Colombien Andrès Orozco-Estrada (photo) sans parler des solistes, un accueil absolument triomphal. Si Vienne idolâtra Haydn, Paris en son temps, ne fut pas en reste, puisqu’une grande cérémonie avait été prévue pour marquer sa disparition, avec le Requiem de Mozart, et qu’apprenant cette nouvelle, Haydn, encore vivant, se réjouit drôlement : « Si seulement j’avais eu connaissance de la cérémonie à temps, j’aurais fait le voyage pour diriger la messe en personne ! ». Et son oratorio, qui inaugurera d’ailleurs le 6 juin prochain (sous la direction de Julien Chauvin) le Festival de Saint-Denis (1), continue d’y être chéri.
 
Comment ne pas être envoûté dès les premières mesures où dans une sorte de murmure désolé et planant, l’ordre jaillit soudain du chaos. Et comment ne pas être aux anges, puisque Gabriel, Uriel et Raphaël sont les meneurs de jeu, célébrant l’apparition de la lune et du soleil, des éléments, des lions et des vers de terre, et enfin du couple d’humains, chantant à la fin un bonheur dont on devine qu’il va tourner mal. Mais l’œuvre n’en dit pas plus, comme le Paradis perdu du poète Milton, sur lequel elle est écrite, bien que le livret fût d’abord proposé à Haendel,
 

© Werner Kmetisch

La Création est donc une œuvre heureuse, une musique flamboyante et gracieuse, fraîche et radieuse dont on admire la simplicité expressive, agencée admirablement, et on devine qu’elle doit être un bonheur pour ceux qui l’interprètent. D’entrée de jeu, malgré l’acoustique sèche du TCE, Andrès Orozco-Estrada l’a empoignée en démiurge, lui aussi, imprimant une vie, une chaleur, un enthousiasme contagieux aux musiciens de l’Orchestre national de France. La nature était là, grâce aux mille couleurs sonores d’une masse orchestrale à la fois économe de moyens et brillamment adaptée comme autant de traits de pinceaux aux multiples évocations retracées par cette tapisserie musicale. Explosion du fameux, « Que la lumière soit au firmament », basson et contrebasson en pleine action, cordes enflammées et frémissantes, bois enjoués et lumineux, percussions survoltées, tout emportait, racontait, réjouissait.
 

Nikola Hillebrand © Leeds Lieder Festival
 
Superbe plateau aussi pour évoquer à la fois les célestes archanges et le couple d’Adam et Eve. Non sans toutefois marquer une réserve pour les basses du grand Matthias Goerne, réserves déjà indiquées lors de son incarnation de Marke dans le récent Tristan toulousain. On le préférait lorsqu’il s’en tenait à son registre de baryton. Un peu fatiguée au début, la voix, heureusement, se chauffait pour finir sur un vibrant Adam, face à une révélation digne du caractère miraculeux de l’enjeu : la bellissime soprano Nikola Hillebrand, remplaçant Slavka Zâmecnikovà, souffrante. Aussi à l’aise, semble-t-il en Despina ou Sophie que dans le lied, auquel elle consacre une bonne partie de sa carrière, la jeune femme a déployé une voix élégante et pure, avec une grâce exquise, et  une fluidité charmeuse dans des aigus qui n’étaient pas sans faire songer à ceux de Gundula Janowitz, diva de l’époque de Karajan. Quant à Uriel, le troisième archange, Alan Clayton, voix chaleureuse et prenante y montrait à nouveau, après son grand Peter Grimes récemment à l’Opéra Bastille, la qualité de sa sympathique présence. Enthousiasmante vision du monde, donc, grâce à ces ardeurs mêlées pour le célébrer, et où l’on supporte même ce qui paraît parfois un peu niais dans ce qui reste du poème de Milton, lequel insiste bien sur le fait que la femme doit obéir à l’homme, même si lui clame à quel point elle le réjouit ! Et Dieu créa la musique…
 
Jacqueline Thuilleux

(1)Il s'agira de la version française de l'ouvrage :  festival-saint-denis.com/concert/230606_haydn-la-creation/
 
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 20 avril 2023
 
Photo © Daniela Steinmacher 

  

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