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La Femme sans ombre au Capitole de Toulouse – Réarmement fertile – Compte-rendu

La vocalement redoutable Femme sans ombre a, cette saison, les honneurs des scènes françaises. Hasard du calendrier ? Configuration des planètes sociales ? Cette œuvre arc-boutée entre les problématiques de la stérilité et de la fécondité n’est pas sans résonner avec nos temps de démagogie démographique.
 
Après Lyon et la vision radicale de Mariusz Tńelinski (octobre 2023), Toulouse choisit de redonner celle du regretté Nicolas Joël proposée en 2006. Les références aux contes persans et à Klimt abondent dans les décors et costumes signés Ezio Frigerio et Franca Squarciapino. Néanmoins, sans le regard de ses artisans, ce patrimoine s’expose au risque de l’obsolescence. Mais ce qui est flagrant durant l’acte II s’oublie vite durant un troisième acte monumental.
 

© Mirco Magliocca
 
Die Frau Ohne Schatten, (FROSCH comme disent les aficionados), est fille de la guerre et de la résilience. Strauss conçoit le premier et le deuxième acte entre avril et juillet 1914 alors que l’Europe des nationalismes entame une mécanique infernale. Le troisième acte naît de 1917 à 1918, année noire pour Vienne qui voit disparaître Gustav Klimt, Egon Schiele et Otto Wagner. Malgré l’accueil enthousiaste du 10 octobre 1919, La Femme sans Ombre est parue longtemps comme un opéra hors sol, trop éloigné des avant-gardes.
 
Il continue d’être redoutable à produire tant il faut d’endurance aux chanteurs pour dompter son ogre orchestral. Toulouse a réuni les meilleurs. Ricarda Merbeth, wagnérienne de choc, offre son organe volcanique à la Femme du teinturier. Aigu triomphal et puissance sont au rendez-vous, au risque d’un certain manque de subtilité. Sophie Koch, adulée par le public toulousain, est une Nourrice tenant à la fois d’Ortrud et de Brangäne. Son mezzo-soprano pare d’une raucité inattendue cette âme noire et tendre.
 
© Mirco Magliocca
 
Qui allait relever le défi de l’Empereur, un heldentenor étant aujourd’hui denrée rare ?  L’Américain Issachah Savage, présent à Toulouse pour Ariane à Naxos en 2019, chante solaire et se promène sur les hauteurs de ses écrasants monologues. On reste plus circonspect quant au choix de Brian Mulligan. La matière vocale est bien claire pour Barak, ce qui déséquilibre les couleurs d’un opéra où les voix graves sont minoritaires. L’impressionnant Thomas Dolié (ici le Messager) pourrait-il un jour investir le rôle du Teinturier ?
 
Frank Beermann © Julian Bauer
 
L’Orchestre du Capitole, mené avec subtilité et générosité par Frank Beermann, sublime FROSCH où grondent les rutilances de sa contemporaine, la Symphonie Alpestre.
 
On attendait surtout de retrouver Elisabeth Teige qui enchante Bayreuth depuis deux saisons et vient de conquérir Dresde et Strasbourg avec de prodigieuses Turandot. La Norvégienne appartient à ce club restreint d’interprètes dont le grain et le fruité du timbre font éclore l’humanité au cœur des rôles techniquement les plus monstrueux. À cet égard, son Impératrice porte la flamme, fragile mais obstinée, de l’espérance.       

 
Vincent Borel
 

R. Strauss : La Femme sans ombre - Toulouse, Théâtre du Capitole, 26 janvier ; prochaines représentations les 28 & 31 janvier et le 4 février 2024 // opera.toulouse.fr/agenda/operas/la-femme-sans-ombre/
 
Photo © Mirco Magliocca

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