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La Mégère apprivoisée par les Ballets de Monte-Carlo – Tout feu tout femme – compte rendu
La voici telle la Walkyrie installée sur son Rocher, cette Mégère apprivoisée dont on peut dire qu’elle a marqué un tournant dans la carrière de Jean Christophe Maillot, chorégraphe prolifique et directeur adoré de la compagnie monégasque pour laquelle son énergie, sa gourmandise insatiable et sa fantaisie exaltante font merveille.
Lorsque le prestigieux Bolchoï, alors sous la direction de Sergei Filine, lui fit cette commande, il lui laissa le champ libre : musique, durée, thème, interprètes, une avenue s’ouvrait, que Maillot a su exploiter avec tant de talent et d’intelligence du terrain que désormais la Mégère apparaît comme l’un des spectacles phares du Bolchoï. De quoi enflammer la Renommée, qui gémit continuellement sur le manque de chorégraphes de style néo-classique, capables de concevoir une œuvre capable de mobiliser les forces d’une belle compagnie et de la vivifier, tout en demeurant un spectacle d’une parfaite accessibilité. Et exciter les grandes maisons de ballet à l’échelon international, ainsi le Ballet Royal des Flandres, qui inscrit à son répertoire ce mois ci le Faust de Maillot, créé en 2008.
On a souvent eu l’occasion de redire combien cette Mégère apprivoisée marque par la vigueur de ses situations, la sensualité, voire l’érotisme qui soude les deux protagonistes, la profondeur de leur mal être enfin dissous par l’amour avoué, l’apogée du style d’un chorégraphe qui sait manier le narratif sans avoir recours à la pantomime, et en déroule les péripéties et les états d’âme en un langage fluide où tout coule sans marquer la moindre pose qui fragiliserait l’élan. « Mon rêve, avoue-t-il, c’est que tout se passe comme dans un film, et qu’on en oublie presque qu’il s’agit d’un ballet». Pari réussi.
© Alice Blangero
La Mégère, donc, avait fait ses preuves en terre russe, mais grâce aussi aux natures et aux techniques prodigieuses de danseurs hors normes, ceux du Bolchoï. Un défi qui avait permis au chorégraphe de monter la barre pour ce qu’il demandait à ses interprètes, puisqu’il se trouvait en possession d’un fabuleux instrument. Et ensuite de se montrer plus exigeant encore avec ses propres troupes. C’était ici l’enjeu de cette nouvelle entreprise : montrer que Monte Carlo pouvait faire aussi bien que le formidable Bolchoï, un barreau de plus à l’échelle d’une progression constante. Dire que le résultat est réjouissant est faible, car la troupe, remarquable par sa vitalité, sa plastique et son engagement, même si elle n’a pas exactement la perfection technique des recrues des grandes écoles russes, s’est prise au jeu, et a révélé en son sein de superbes individualités.
Car quelle que soit la frénésie mordante des ensembles, le caractère piquant des personnages secondaires qui abondent, comme il est habituel dans Shakespeare, il faut avant tout que le couple central soit incendiaire, violent, accrocheur et capable aussi de subtilité, car nombre de scènes, notamment celle de la traversée de la forêt et de l’arrivée au château, demandent une très habile maîtrise de la quinconce psychologique : assurément le couple italien Alessandra Tognoloni – Francesco Mariottini, complices de longue date, assume cette osmose complexe, et trouble autant qu’il est troublé : elle à la fois quotidienne et superbe, avec ses jambes piaffantes, son chignon en bataille et sa lassitude de guerrière enfin mise à jour, lui mauvais garçon au charme ravageur, mécaniques en bataille et âme en déroute, même s’il est vrai que Mariottini n’a pas en lui la touche de folle cruauté d’un Vladimir Lantratov, lequel créa le rôle et vient encore de le danser en invité avec la troupe monégasque. Il est vrai qu’il s’agit là d’un des plus beaux monstres de la planète danse à ce jour.
© Alice Blangero
Superbe couple aussi, avec la découverte d’une nouvelle perle de la compagnie, la fine et lyrique Belge Katrin Schrader, aux mines malicieuses délicatement dosées pour le joli rôle de Bianca, et l’élégant, bien qu’un peu froid, Jaeyong An en Lucentio. A côté de nos deux éméchés en état d’hystérie, déjà marqués par la vie, ce couple tout d’harmonie et de fraîcheur juvénile équilibre parfaitement le ballet. Sans parler de personnages haut en couleur, notamment la Gouvernante de Victoria Ananyan, savoureusement provocante sans vulgarité.
A la tête de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, le Finlandais Kalle Kuusava est lui aussi à la fête car ce n’est pas souvent que les ballets se lovent dans d’aussi magnifiques supports musicaux : Maillot, qui a lui-même conçu l’enchaînement des partitions qu’il a puisées dans Chostakovitch, a fait là œuvre de musicologue, mêlant le tragique et le pimpant, le loufoque et le glamoureux, passant de Hamlet à Cheryomushki et à la Symphonie n°9, outre une foule de pièces de danse, que la majorité du public découvre ainsi. Incontestablement, ce diable d’homme-orchestre aurait pu prendre la baguette lui-même !
Jacqueline Thuilleux
La Mégère Apprivoisée, Jean-Christophe Maillot, Monaco, Grimaldi Forum, le 3 janvier 2018 ; prochaine représentation le 5 décembre 2018. www.balletsdemontecarlo.com
Prochains spectacles des Ballets de Monte-Carlo en France :
Belle Figura et Aleatorio, Théâtre de Saint Quentin en Yvelines, les 26, 27 et 28 janvier 2008 www.theatresqy.org
LAC, Opéra de Saint-Etienne, les 9 et 10 février 2018. www.operatheatredesaintetienne.fr
Photo © Alice Blangero
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