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La Passion selon saint Matthieu sous la direction Christophe Rousset au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence 2023 – Monde cruel – Compte-rendu

Ne dérogeant pas à une ligne de conduite édictée par le regretté Michel Lucas, à l’origine de la manifestation, le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, devenu en dix ans l’un des principaux, voire le principal, festival musical de printemps en Europe, a programmé une Passion de Bach au soir du Vendredi Saint. La règle de l’alternance annuelle entre Jean et Matthieu donnait cette fois l’occasion d’entendre celle du second, confiée à Christophe Rousset et ses Talens Lyriques ainsi qu’au Chœur de chambre de Namur et à une remarquable équipe de solistes : Ian Bostridge, Benjamin Appl, Anna El-Kashem, Mari Askvik, James Way et Thilo Dahlmann.
 
En respectant les codes liés au fait que l’œuvre a été composée pour double chœur et deux orchestres, positionnés lors de la création en 1727 de part et d’autre de la nef de l’église Saint-Thomas de Leipzig, et contrairement à la restitution très romantique qu’en fit Mendelssohn en 1829, les membres de l’exceptionnel Chœur de chambre de Namur et les instrumentistes des Talens Lyriques étaient disposés de part et d’autre de la scène du Grand Théâtre de Provence.
 

© Caroline Doutre
 
Cette Saint Matthieu aixoise aura été particulièrement marquée par la prestation de Ian Bostridge, qui a donné à l’Evangéliste une dimension et une présence transportant l’œuvre vers des sommets de réalisme. En plus de ses qualités vocales, le ténor britannique a joué le drame – sans jamais trop forcer le trait –, par ses intonations, son implication charnelle et mentale dans un récit qui n’est pas resté au seul rang de l’épisode religieux mais a pris une dimension universelle et très actuelle. Par-delà la mort du Christ rédempteur, cette lecture des Saintes Ecritures paraissait offrir une vision de notre monde. Quasiment tout y était : faiblesse, cupidité, traîtrise, cruauté, injustice, indifférence ainsi que tous les autres miasmes qui secouent notre actualité. Un monde cruel que l’interprétation proposée, en dépassant la lecture purement religieuse, semblait dénoncer.
 
Outre le public aixois, venu en nombre au Grand Théâtre, cette Saint Matthieu singulière et prenante, servie avec une belle densité émotionnelle par tous les interprètes mentionnés plus haut sous la direction sensible et précise de Christophe Rousset, aura pu être appréciée des auditeurs de Radio Classique et des téléspectateurs de Mezzo.
 
Michel Egéa

Aix, Grand Théâtre de Provence, 7 avril 2023
 
 
Photo ©  Caroline Doutre
 

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