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La Sinfonie bohémienne à la Cité de la Musique - Le Sultan et sa Ménagerie - Compte-rendu


«Monsieur de la Popelinière est aussi mort sur la fin de l'année dernière. C'était un homme célèbre à Paris, sa maison était le réceptacle de tous les états. Gens de cour, gens du monde, gens de lettres, artistes, étrangers, acteurs, actrices, filles de joie, tout y était rassemblé ...» (Voltaire) .

Pendant plus de quarante ans, Alexandre-Jean-Joseph Le Riche de la Popelinière (1692-1762) fut fermier général et, dans cette fonction peu contraignante, unanimement apprécié pour sa convivialité. Du baron Grimm à Ancelet, tous les témoignages lui sont favorables; homme de plaisir, certes, mais surtout homme d'esprit et de bonnes manières, il tournait, ajoute Voltaire, joliment les vers et écrivait des comédies sans jamais se faire imprimer, signe de discrétion dont lui savaient gré ses amis.

Surnommé le « Sultan » et sa maison la « Ménagerie », il goûtait les plaisirs des sens «qui ne sont point du tout des chimères, mais essentiels à notre constitution» et à lire ses Tableaux des moeurs du temps dans les différents âges de la vie, un ouvrage au parfum de scandale, on se plaît à imaginer la demeure de cet ancien mousquetaire transformée en haut lieu de libertinage ! En fait, la seule chose dont on soit sûr, c'est qu'outre Voltaire, on pouvait y rencontrer Rousseau, Marmontel, Buffon, Diderot, les peintres La Tour et Van Loo et, bien évidemment, des musiciens comme Rameau (qui dirigea l'orchestre maison jusqu'en 1753, laissant ensuite la place à Johann Stamitz, puis Gossec).

De cette ménagerie foisonnante, guirlande de vignettes colorées et parlantes, la Sinfonie bohémienne, guidée par le clarinettiste Gilles Thomé (photo), la basse Arnaud Marzorati et la soprano Magali Léger, tire un plaisant portrait où les paraphrases ramistes sont particulièrement appréciées (l'Entrée des Sauvages tirée des Indes Galantes). La voix baroque de Magali Léger y est à l'aise et un instrumentarium délié (dont les harpes poétiquement touchées par Sandrine Chatron) complète ici l'illusion d'un bonheur d'époque.

Reste un problème dans le style et le dire d'Arnaud Marzorati qui refuse de ruser avec le sens et le son des mots. Certes, il est difficile de faire passer le réalisme sexuel de l'Ode à Priape de Piron qui fut interdit d'Académie Française pour ses vers jugés trop licencieux par Louis XV (et qui se vengea dans l'épitaphe: «Ci-gît Piron qui ne fut rien, pas même académicien»). Et pourtant, il existe une manière de jouer avec le non-dit qu'ignore le chant de notre soliste: un beau timbre, sans doute, mais qui, trop souvent, reste à la surface des notes, aux frontières du chanté-parlé. Copie à revoir pour la gloire de La Popelinière, à la fois libertin et honnête homme.

Roger Tellart

Paris, Cité de la musique, 16 septembre 2011

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Photo : DR

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