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La Traviata à l’Opéra national du Rhin – Les bouleversants adieux de Patrizia Ciofi à Violetta – Compte-rendu

En mai dernier, Vincent Boussard signait sa première mise en scène de La Traviata pour un public japonais friand de spectacles didactiques et opulents. A l’Opéra national du Rhin, les enjeux sont différents et le metteur en scène y présente une seconde lecture plus âpre, plus radicale, plus minimaliste aussi, conçue autour de la personnalité de Patrizia Ciofi, qui n'avait pas encore été invitée par l’institution alsacienne. Totalement investie dans un projet qui lui tient à cœur - ces représentations étant vraisemblablement les dernières dans ce rôle chéri qu'elle fréquente depuis plus de vingt ans – la cantatrice italienne se donne, comme toujours, corps et âme, pour incarner une Violetta de chair et de larmes à la présence inoubliable.
 
Et il en faut du courage et de la grâce pour habiter ce décor unique, noir et dépouillé, où les silhouettes déformées se reflètent dans un vaste miroir concave et où trône un piano à queue sur lequel s'ébroue et meurt la courtisane. Aidée par les superbes costumes de Christian Lacroix, la Ciofi campe une héroïne qui, malgré la passion qu'elle déchaîne, les espoirs de bonheur entrevus et une possible rédemption liée à sa son sacrifice, se sait condamnée ; l'image de la jeune fille pure et insouciante qu'elle fut, lui apparaissant à plusieurs reprises sous les traits d'une enfant voilée, aux allures fantomatiques, effrayante tout d'abord au point de lui arracher un cri après le premier « Gioire » du « Sempre libera », apaisante par la suite.

© Alain Kaiser

Incroyable musicienne, la cantatrice parvient à traduire le conflit intérieur qui secoue Violetta ; chaque appui, chaque inflexion, chaque respiration se révélant un indicateur expressif et émotionnel de l'état psychologique de son personnage. Malgré d'inconfortables positions qui la clouent au sol, où sur le piano devenu lit de mort au dernier acte, Ciofi joue et chante avec une absolue conviction, focalisant l'attention pendant le déchirant « Ah forse lui » (donné en entier !), tirant les larmes avec un « Dite alla giovine » fragile comme le cristal, avant de nous laisser sans voix lors d'un « Addio del passato » brisé, pur moment de tragédie et de chant mêlés, véritable sommet de la soirée et point culminant d'une carrière vouée aux plus belles partitions.
 
Roberto de Biasio (Alfredo), ténor sans prétention, est un partenaire appliqué qui déséquilibre presque l'harmonie générale, le jeune baryton Etienne Dupuis offrant à Germont père un timbre d'une belle étoffe, idéal pour sculpter la ligne parfois sévère et monocorde de son personnage, chanté avec de remarquables demi-teintes, cabalette comprise. Autour d'eux, Flora intempestive de Lamia Beuque, Douphol passe-partout de Francis Dudziak et Annina en place de Dilan Ayata, tandis que Pier Giorgio Morandi à la tête de l'Orchestre philharmonique de Strasbourg dirige convenablement, mais avec un excès de prudence parfois regrettable, le chef-d’œuvre verdien.
 
François Lesueur
 
Verdi : La Traviata – Strasbourg, Opéra, 11 décembre, prochaines représentations les 13*, 15, 21, 23*, 25, 27, 29* décembre 2015 etles 8 et 10* janvier 2016 ( à Mulhouse)
*avec Ana-Camelia Stefanescu
 
Photo © Alain Kaiser

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