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La Traviata selon Simon Stone au Palais Garnier – Violetta, courtisane 2.0 – Compte-rendu

Demi-mondaine Violetta Valéry ? Non, une jeune mannequin très en vogue, hyper connectée aux réseaux sociaux, qui ne compte plus les aventures et les followers ; une sorte de Naomi Campbell d'aujourd'hui dont le visage s'expose aussi bien sur la toile via Instagram, que sur le écrans publicitaires géants sur lesquels elle promeut cosmétiques ou parfum. Pourquoi pas, il faut vivre avec son temps et quoi de plus naturel que de vouloir relire les classiques à l'aune de notre actualité. Simon Stone tient donc absolument à trouver des équivalences entre le mythe de Marguerite Gautier, très ancré dans le XIXème siècle et notre époque tout autant marquée que celle de Dumas, par la réussite individuelle, la soif d'argent et de notoriété, qui peut encore conduire à la déchéance, surtout si la maladie et la mort rodent. Sa Violetta Valéry vit donc à cent à l'heure, courant de fête en fête, se grisant d'être suivie par tant « d'amis » sur le net et de partager jusqu'à l'écœurement, vie privée et vie publique, comme nous le montrent ces images (signées Zakk Hein) projetées sur deux écrans réunis et placés sur une tournette (un peu bruyante!), où défilent des textos qui nous renseignent sur son état de santé, ses finances ou encore le genre de soirées où elle se rend, symbolisées par quelques néons pornographiques.
 Pretty Yende (Violetta) & Benjamin Bernheim (Alfredo) © Charles Duprat — OnP

L'intrusion d'Alfredo dans cette vie dissolue et sans âme, ne facilite pas la tâche de Simon Stone, qui signe ici sa quatrième mise en scène lyrique. Candide au cœur tendre, tombé fou amoureux de cette créature, il ne peut lui proposer qu'un monde radicalement opposé à celui dans lequel elle se débat. De là à la transformer en « Belle des champs » troquant robe lamé or et talons hauts assortis pour des bottes en caoutchouc et une chemise à carreaux, il y avait peut-être une autre voie.
 
C'est pourtant celle que choisit le metteur en scène australien dans la seconde partie du spectacle : adieu Paris, ses grosses cylindrées et ses « Uberbaisers » (si si !), ses boîtes de nuit et ses soirées sans fin, vive la campagne, ses vaches – mais oui, Violetta s'apprête à en traire une quand, heureusement pour elle, enfin pour Pretty Yende, arrive un vieux professeur des écoles avec son cartable, je veux parler de Giorgio Germont bien sûr !  – et sa vigne. Il faut en effet préciser qu'Alfredo fait son vin et foule son raisin car c'est meilleur au goût, et le sol d'une petite chapelle, expiatoire cela va sans dire.
 
Comment peut-on croire qu'une jeune bloggeuse aux millions d'abonnés, qui gagne très bien sa vie, même si elle dépense beaucoup, peut accepter au XXIème siècle de sacrifier son bonheur personnel pour répondre à la volonté d'un Germont Père ? Pas crédible tout ça ! En tout cas la voilà à nouveau dans la capitale aux bras d'un riche ex, qui se fait humilier en public par un Alfredo très alcoolisé et très en colère, même si son méchant papa est là pour le sermonner. Mais au fait, comment Germont Père a-t-il pu trouver une invitation pour avoir le droit de participer à cette soirée où les hommes sont déguisés en femmes, les femmes en hommes et où le port de godemichés sur la tête ou dans le dos, est plus qu'autorisé, recommandé ?

© Charles Duprat — OnP
 
La pècheresse doit cependant payer davantage et quoi de mieux en ce bas monde que de mourir d'une belle maladie : attention ne parlons pas de phtisie ici, mais de « mal », le mot « tisi » en italien ayant tout bonnement été remplacé dans les surtitres pour coller au concept. Piave aurait sans doute apprécié ! Mais passons. Violetta Valéry la star du net en est maintenant réduite à patienter dans un hôpital, à se remémorer de beaux souvenirs (ses soirées VIP, sa rencontre avec Alfredo, son premier baiser près des poubelles...), avant de rendre l'âme en compagnie des Germont Père et Fils et de la fidèle Annina, en pénétrant dans un étrange paradis blanc d’où s'échappe une épaisse fumée…
Ludovic Tézier (Germont Père) et Pretty Yendy (Violetta) © Charles Duprat — OnP
 
Voici donc une nouvelle production qui fera débat, mais peut-être pas date, à l'image de La Bohème de Claus Guth, qui amusera les uns et irritera les autres, mais dont la vocation est de rester quelques années au répertoire de l'Opéra ; ce qui n'est pas pour nous réjouir.
 
Pretty Yende (1) se prête au jeu, starlette ultra-sexy ou apprentie fermière, surprise – on la comprend – et sans doute déçue, de débuter dans ce rôle avec une telle proposition scénique. La voix est plaisante quoiqu'un peu légère, les ressources et l'énergie présentes, mais il manque à son approche une vraie psychologie, une complexité dramatique que seul un vrai travail sur le poids des mots aurait pu apporter.
Benjamin Bernheim chante élégamment et avec naturel cet Alfredo naïf et juvénile qui croit en l'amour mais qui paraît tout de même embarrassé quand il lui faut interpréter « Dei miei bollenti spiriti » pieds nus, non pas dans le Parc, mais dans le raisin fraîchement récolté.
Ludovic Tézier est sans surprise le plus ulcéré par ce qui lui a été demandé, guindé, visage fermé, comme absent du plateau, ce qui, malheureusement affecte son chant, souverain certes, mais sur lequel pas un sentiment, pas une émotion ne passe.

Abonnée au rôle de Flora comme au TCE la saison dernière, Catherine Trottmann est à sa place, entourée par Julien Dran (Gastone), Christian Helmer (Douphol), Marc Labonnette (d'Obigny), Thomas Dear (Grenvil) et Marion Lebègue (Annina), bons comprimari. Dans la fosse Michele Mariotti dépeint plutôt bien les splendeurs et les misères de cette courtisane 2.0, précipitant ou au contraire étirant parfois le tempo sans réelle justification, sauf à adapter ce discours aux diktats d’une mise en scène résolument contemporaine, jusqu’à l’excès.
 
François Lesueur

(1) Pretty Yende tient le rôle principal en alternance avec Zuzana Marková, Benjamin Bernheim alternant pour sa part avec Atalla Ayan.

Verdi : La Traviata – Paris, Palais Garnier, 12 septembre ; prochaines représentations les 18, 21, 24, 26 et 28 septembre, 1, 4, 6, 9, 12 & 16 octobre 2019 // www.concertclassic.com/concert/la-traviata-3
 
 
Photo © Charles Duprat

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> La Traviata de Verdi aux Chorégies d'Orange


> La Traviata à l'Opéra Bastille


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