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L’Affaire Makropoulos à l’Opéra Bastille - E.M. , Elina Merbeth - Compte-rendu

Alors que la salle s’exclame et exulte, une dame se lève, voulant sortir à tout prix ; «  Ah non merci, tous ses lavabos j’en ai assez, je voudrais partir, pouvez-vous me laisser aller ? ». Pris encore dans l’émotion du troisième acte on entend ses paroles comme l’écho de ceux d’Elina Makropoulos : « Partir ou mourir c’est la même chose, j’ai frôlé la mort, et ce n’était pas si mal ». C’est vous dire à quel degré d’émotion on était parvenu pour à notre tour mêler réalité et fiction à ce point. D’ailleurs une fois sur le trottoir on avait le sentiment que la main de King-Kong allait nous emporter là haut, danser avec le joli génie doré qui veille sur la place.

Evidemment, si l’on a une phobie des sanitaires – bidet, urinoir, douche, lavabo, baignoire, et leur grande sœur à peine moins froide, la piscine, tous ses éléments symboliques de la purification et de la mort, tous ces ersatz de bain lustral – mieux vaut éviter les spectacles de Krzysztof Warlikowski. Mais si on les supporte, si on admet son art des translations, pour le coup du théâtre quasi surréel de Capek au monde impitoyable d’Hollywood, sa direction d’acteur où les manies d’un certain Regietheater sont habilement détournées (le personnage de Janek est ici littéralement une citation marthalerienne), sa virtuosité qui se sert du paradoxe pour révéler la vérité des êtres, on trouvera dans cette mise en scène implacable de La « Chose» (Vec) Makropoulos un de ses spectacles les plus aboutis, car ici tout l’inspire.

Le public qui avait fraîchement accueilli les premières séries de représentations a fait une véritable fête à cette reprise que le metteur en scène polonais amaigri, triste comme toujours mais esquissant un fugitif sourire pour Ricarda Merbeth et Susanna Mälkki, était venu resserrer.

Deux grands gagnants dans ce processus de relecture, le Jaroslav Prus méprisant puis brisé de Vincent Le Texier, acteur prodigieux qui s’éclate littéralement et absorbe avec une virtuosité confondante la gestuelle warlikowskienne, et Elina Makropoulos, pardon, Elina, euh Ricarda Merbeth. Oui en fait c’est cela, Merbeth c’est la nouvelle identité de Makropoulos-Marty-Müller, d’ailleurs c’est la première fois depuis Söderström que l’on entend la transfiguration de son personnage au III à ce point chantée et émouvante. La possibilité de la mort donne des ailes à ses lignes, des couleurs à son acceptation, une volupté, une intensité dont l’orchestre sensuel et émouvant de Susanna Mälkki porte le quasi orgasme. Rétrospectivement Madame Denoke paraît bien froide et bien méchante. On a retrouvé Elina, enfin.

Le spectacle est un crescendo imparable, mais cette fois on ne va pas vers l’horreur, mais vers la lumière, le whisky aidant. Tout commence d’une manière mécanique, littérale, au point qu’on s’inquiétait de trouver le préambule notarial un rien long. Mais dès qu’Emilia paraît, la fable vous engloutit, la tête vous tourne comme à Albert Gregor, formidable Attila Kiss-B qui se laisse vampiriser dans les lavatories. L’orchestre à mesure quitte son rôle de machine à sons pour chanter lui aussi, se fait harpe lyrique lorsqu’Elina revient sur scène dans la paume de King-Kong, image fantasmatique irrésistible, toujours aussi clouante. Susanna Mälkki a tout compris, elle conduit le drame d’une main sûre, mais surtout, à mesure, elle ouvre l’œuvre, la fait accéder à ce degré d’irréalité qui rend crédible les 337 ans d’une vie qui va enfin s’achever.

Bravo à tous, à la Krista d’Andrea Hill, fruitée, dont la métamorphose finale en Marylin est touchante, au Dr. Kolenaty sonore de Jochen Schmeckenbecher, au Janek si finement joué de Ladislav Elgr, terrorisé par la tentation et le désespoir derrière les vitres de la salle de bain ; bravo au Vitek plein de caractère d’Andreas Conrad et à Ryland Davies, Hauk Sendorf inoubliable de tendresse et de fantaisie, grand mozartien devant l’Eternel. Vous l’aurez compris, Elina Merbeth vous attend à la Bastille. N’ayez pas peur de la mort, cédez à son charme.

Jean-Charles Hoffelé

Janacek : L’Affaire Makropoulos - Paris, Opéra Bastille, 16 septembre ; prochaines représentations les 19, 24, 27, 30 septembre, 2 octobre 2013 www.operadeparis.fr

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Photo : Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca
 

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