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« L’Affaire Tailleferre » à l’Opéra Théâtre de Limoges – Germaine à la barre - Compte-rendu

Après un Owen Wingrave très remarqué à l’Opéra de Nancy il y a peu, production dont Jean-Guillaume Lebrun vous a dit toutes les qualités dans nos colonnes (1), Marie-Eve Signeyrole (2) signe une nouvelle réussite avec « L’Affaire Tailleferre » présentée à l’Opéra Théâtre de Limoges. Le pari n’était pas gagné d’avance pour la metteuse en scène et son complice scénographe Fabien Teigné car il s’agissait de donner en un seul spectacle quatre opéras-miniatures nullement destinés à la scène à l’origine.
C’est en effet à la demande du poète Jean Tardieu que Germaine Tailleferre (1892-1983) entreprit d’écrire pour la RTF en 1955, sur des livrets de sa nièce Denise Centaure, quatre courtes parodies lyriques : La Fille d’Opéra (à la manière de Rameau), Le Bel Ambitieux (à la manière d’Auber et Boieldieu), La Pauvre Eugénie (à la manière de Gustave Charpentier), M. Petitpois achète un château (à la manière d’Offenbach).
 

Matthias Foin Dannreuther © Thierry Laporte

Vraie gageure que de regrouper des ouvrages aux atmosphères et arguments si différents et de donner une cohérence à leur enchaînement. Marie-Eve Signeyrole y parvient en situant l’action dans un tribunal - de fantaisie ! - avec un personnel croquignolesque, à commencer par la Juge (incarnée par Maloue Fourdrinier) et ses impayables robes !, et en inventant un personnage de chroniqueur judiciaire (rôle formidablement tenu par Matthias Foin Dannreuther) dont les interventions (où sont entre autres repris les textes liminaires prévus pour les diffusions radiophoniques) servent de fil conducteur.

Dans ces conditions la charmante Fille d’opéra ferait presque oublier son histoire excessivement emberlificotée au commencement d’une « Affaire Tailleferre » réglée comme une mécanique d’horlogerie et que l’on savoure avec un plaisir gourmand. Finesse de la direction d’acteur, inventivité de la scénographie et des costumes (que co-signent M.E. Signeyrole et F. Teigné) ; on n’aura pas regretté le trajet ferroviaire un brin longuet pour se rendre à Limoges.

Magali Arnaud-Stanczak (Euphrasie, Le Bel Ambitieux) © Thierry Laporte

Beaucoup de bonheur aussi du côté d’une distribution dont les membres ont montré toute la versatilité de leur talent. A commencer par la fraîche Magali Arnault-Stanczak, présente dans les quatre œuvres et aussi convaincante en Pouponne qu’en Euphrasie (elle compose là une nunuche premier cru), en Titine qu’en Héloise. A propos de versatilité, Aaron Ferguson remporte sans doute la palme : après avoir été Le Merlan et Petit Jacques, on le retrouve traveloté en Mme Phémie, patronne d’un atelier de couture plutôt louche, dans La Pauvre Eugénie. Eugénie qui, on vous l’apprend sans doute, a commis la faute inexpiable de manger… du saucisson à l’ail : Kimy McLaren se révèle pleine de caractère dans ce personnage, tout comme en Clementine dans Le Bel Ambitieux, au côté du parfait Alphonse de Dominique Coté auquel le rôle titre de M. Petitpois offre in fine un personnage haut en couleur.

Cette parodie d’Offenbach, la meilleure des quatre partitions avec La Pauvre Eugénie, confie à Luc Bertin-Hugault (précédemment remarqué dans les rôles du Père, du Baron et du Patron) un personnage de Duc que le baryton-basse campe de drôlatique façon en lui rajoutant un petit cheveu sur la langue. Antoinette Dennefeld (Paula, La Mère, Cunégonde), Jean-Michel Richer (Mistouflet et Adelestan) et Henri Pauliat (Le Bottier, Le Notaire) sont tout aussi impeccables dans leurs emplois.

Inattendu dans ce répertoire, Christophe Rousset conduit avec un plaisir visible et, passé le temps de chauffe de La Fille d’Opéra, ses troupes de l’Orchestre de Limoges et du Limousin le suivent avec efficacité et esprit. Une mauvaise et bonne nouvelle enfin a propos de cette « Affaire Tailleferre » : elle n’aura été donnée que deux fois à Limoges et aucune reprise n’est prévue où que ce soit mais, heureusement, le spectacle a été capté et sera diffusé en DVD. Les quatre opéras de Germaine Tailleferre sont en effet inscrits au programme de l’épreuve musique du Bac pour les sessions 2016, 2017 et 2018.

Une question pour conclure : en ces temps de disette budgétaire, ne serait-il souhaitable le Ministère de la Culture sanctionne, si l’on peut dire, d’aussi jolies réussites que la production que l’on vient de découvrir par une « obligation de reprise » sur d’autres scènes lyriques nationales ? On froisserait peut-être quelques ego mais la musique, les artistes de talent, les mélomanes et - point non néligeable -  le contribuable y trouveraient leur compte.

Alain Cochard

Germaine Tailleferre : "L'Affaire Tailleferre" ( Le Bel Ambitieux, La Fille d’Opéra, La Pauvre Eugénie, M. Petitpois achète un château )– Limoges, Opéra Théâtre, 11 novembre 2014
 
 

  1. -Lire le CR : www.concertclassic.com/article/owen-wingrave-de-britten-nancy-onirisme-et-engagement-compte-rendu
  2. Lire L’interview de Marie-Eve Signeyrole : http://www.concertclassic.com/article/une-interview-de-marie-eve-signeyrole-metteur-en-scene-de-britten-tailleferre

 
Photos © Thierry Laporte

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