Journal

​« L’Autre Voyage » à l’Opéra-Comique – Dans les profondeurs du souvenir – Compte-rendu

 

Raphaël Pichon a le goût pour des projets conçus autour d’un patchwork musical ; on en avait eu l’exemple à l’Opéra-Comique à la rentrée 2017 lors d’une « Miranda » bâtie en collaboration avec Katie Mitchell autour de Purcell et d’autres compositeurs d’outre-Manche. Cette fois, c’est à partir de pages de Schubert que s’est élaboré « L’Autre Voyage », une entreprise menée avec la metteuse en scène Silvia Costa (qui signe aussi les décors, avec Michele Taborelli) sur un argument d’Antonio Cuenca Ruiz.
 

Stéphane Debout (L'Homme), Siobahn Stagg (L'Amour) et le chœur Pygmalion © S. Brion
 
La Parque tranche le fil : un mort ; on se retrouve dans une salle d’autopsie. Le médecin légiste découvre qu’il est amené à intervenir ... sur son propre corps. Scène de funérailles. Va ensuite apparaître le fantôme d’un enfant mort prématurément, avec lui le thème du fils disparu et la douleur qui y est associée, et le tout s’entremêler dans ce qui prend l’allure d’une plongée dans les profondeurs du souvenir. Elle comporte de très belles images (la réalisation vidéo de Laura Dondoli à partir de films amateurs familiaux) et des moments d’une grande force (en particulier ceux, les plus dépouillés, où L’Enfant intervient vocalement), d’autres aussi où, à vouloir trop montrer, trop illustrer un argument quelque peu emberlificoté, le propos s’avère tantôt abscons tantôt encombré (était-il bien nécessaire de dévaliser un magasin de jouets ?) ou inutilement explicatif (cet effeuillage de draps de lit ...). Face au grand mystère de l’Après, et compte-tenu de la beauté des partitions, le travail de Silvia Costa eût gagné à se faire plus allusif (on se serait passé de la laborieuse scène de dissection ...), à laisser plus de liberté à l’imaginaire du spectateur.

Découvrez un extrait vidéo de l'Autre Voyage
 

Siobhan Stagg (L'Amour), Chadi Lazred (L'Enfant) & Stéphane Degout (L'Homme) © S. Brion

C’est d’abord pour la musique de Schubert et la manière dont les interprètes la défendent que cet « Autre Voyage » mérite la découverte. Hormis le Canon op. 113 n° 13 de Brahms – toutefois inspiré de Der Leierman, ultime lied du Winterreise – qui accompagne la scène de la Parque en prologue, les 25 numéros qui composent ensuite la trame musicale sont tous signés Schubert. Il proviennent majoritairement de projets lyriques restés inachevés, mais il s’agit parfois aussi d’extraits de partitions sacrées, de lieder ou d’œuvres instrumentales. Les éventuelles adaptations ont été réalisées par Robert Percival (on trouve également un arrangement de Liszt, un autre de Reger) dont on ne peut que louer le travail, là comme pour les « coutures » auxquelles il a procédé afin de réunir les différentes pièces – pas l’ombre d’un hiatus.
 

Chadi Lazred (L'Enfant) & Stéphane Degout (L'Homme) © S. Brion
 
Quant à la distribution : un sans faute ! Couleur de voix idéale dans cet emploi, Stéphane Degout s’investit pleinement avec une présence et un tact expressif admirables. Lumineux Amour, la soprano Siobhan Stagg s’acquitte aussi parfaitement de son rôle que Laurence Kilsby de celui de L’Amitié. La fraîcheur que l’on avait appréciée chez le ténor britannique lors de la Scala di seta proposée par l’Académie de l’Opéra de Paris en mai 2023 à l’Athénée apparaît on ne peut plus en situation ici. Âgé de 12 ans, Chadi Lazreq apporte à L’Enfant toute la fragilité et la poésie requises. La romance Der Vollmond strahlt, pour laquelle il s’accompagne sur un piano droit, déclenche les seuls applaudissements que le public s’est autorisé durant le spectacle – dommage que certains auditeurs n’aient pas eu l’élémentaire politesse de respecter quelques secondes de silence à son terme ... On n’oublie pas non plus la belle prestation de la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique (préparée par Sarah Koné). Quant à Pygmalion, Raphaël Pichon parvient à un résultat aussi convaincant côté chœur que côté orchestre. Raffinement des couleurs, sens de l’équilibre, attention de chaque instant au plateau : du grand art.

Découvrez l'interview vidéo de Stéphane Degout à propos de l'Autre Voyage
 
A noter enfin s’agissant de Schubert et de Stéphane Degout : le baryton donnera le Winterreise le 14 février à l’Opéra-Comique, accompagné par Alain Planès (sur un Pleyel de 1837). (1)
 
Alain Cochard

(1) Le Voyage d’hiver : www.opera-comique.com/fr/spectacles/le-voyage-d-hiver

 
« L’Autre Voyage », d’après Schubert – Paris, Opéra-Comique, 1er février 2024 ; prochaines représentations les 3, 5 7, 9 et 11 février 2025 // www.opera-comique.com/fr/spectacles/l-autre-voyage / Reprise à l'Opéra de Dijon les 6 et 8 mars 2024 : opera-dijon.fr/fr/au-programme/calendrier/saison-23-24/l-autre-voyage/
Diffusion sur France Musique le 9 mars 2024

Photo © S. Brion

Partager par emailImprimer

Derniers articles