Journal

Le Chat Noir hébergé au Musée d’Orsay

Tags de l'article


Tous les mélomanes amateurs de nouveauté et de spectacles rares doivent se rendre aux représentations de cinq spectacles inédits depuis 1897 et donnés pour la première fois au Musée d’Orsay, du 10 au 14 juin : lors de ces soirées exceptionnelles on évoquera l’atmosphère légendaire du Montmartre de la fin du dix-neuvième siècle et l’esprit du cabaret du Chat Noir, où l’on croisait Fumistes et Hydropathes, et où les noms d’Alphonse Allais et de Mallarmé, de Debussy et d’Aristide Bruant, de Jean Moréas et de Toulouse Lautrec se côtoyaient, rassemblés autour de Rodolphe Salis, l’âme véritable du lieu qui anima, au pied de la Butte, de 1881 à 1897, le minuscule local de 3 mètres 50 sur 4. Le Musée d’Orsay vient en effet d’acquérir une quarantaine de plaques de zinc sur lesquelles figurent les décors de plusieurs pièces du Chat Noir, et proposent ainsi de monter de nouveau ces spectacles aujourd’hui bien oubliés.

Anarchie littéraire, liberté totale des spectacles, insolence envers les puissants du jour furent les mots d’ordre de cet endroit mythique, où se réunissaient quotidiennement des artistes de tous bords, célèbres et inconnus. Le poète André Velter nous donne une idée de ce que pourrait être l’une de ces soirées mémorables : « Imaginons un soir, à Montmartre ou ailleurs, Léo Ferré qui chante Jolie môme, Thank you Satan, Les Anarchistes ; Francis Ponge dit Le Gymnaste et Le Papillon ; Pierre Dac et Francis Blanche enchaînent (après boire) sur le sketch du Sâr Rabindranath Duval, Pierre Jean Jouve risque des extraits d’Isis accompagné par Olivier Messiaen, on donne lecture de la Cantatrice chauve, Reiser multiplie les caricatures, Bobby Lapointe scande « Avanies et framboises sont les mamelles du destin… » Il aurait été impensable à notre époque de mélanger à ce point les genres !

Certes, le Musée d’Orsay ne pourra nous donner qu’une faible idée de cette atmosphère qu’il est difficile d’imaginer de nos jours, mais les spectacles, mêlant boniments de Rodolphe Salis, musique légère pour piano de Georges Fragerolles (le pianiste attitré du cabaret avant Satie), Claudius Blanc, Léopold Dauphin et Charles de Sivry, mimes et marionnettes, témoigneront de cet esprit si particulier du Paris fin de siècle. Les titres des pièces sont à eux seuls révélateurs : après une première soirée consacrée à Pierrot (L’Age d’Or de 1887, Cruelle énigme de 1891et Pierrot Pornographe de 1893), le cycle s’achèvera par Phrynè (1891) et par Le Sphinx (1896), « épopée légendaire » qui promet d’être surprenante par son évocation de l’histoire de l’humanité de la civilisation égyptienne à la fin du monde ! Remercions le Musée d’Orsay de prendre des risques et de ressusciter la musique française de cette fin du dix-neuvième siècle, que nous connaissons en définitive si mal et qui est d’une richesse exceptionnelle.

Christophe Corbier

Photo : DR

Partager par emailImprimer

Derniers articles