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Le Corsaire de retour au Théâtre du Capitole – Un ballet ? Plus, une fête !

Le revoici, ce fringant, ce virevoltant Corsaire grâce auquel en 2013, Kader Belarbi donnait au Ballet du Capitole, qu’il dirigeait alors depuis un an, le ballet classique subtilement revisité  dont celui-ci avait besoin pour renouveler son répertoire. On avait dit alors (1) tout le bien qu’on pensait de cette création totalement neuve, où Belarbi, habilement, avait mêlé ses racines orientales et sa formation purement classique, conservant précieusement les leçons de la tradition et l’académisme européen, mais en le repensant avec une sensibilité d’homme  moderne à l’écoute de son temps. Il renouait alors avec ce style de grand ballet narratif dont le XIXe siècle avait fait son miel, de la France romantique de Taglioni et Perrot à la Russie post- romantique de Petipa.

Créé en 1856 sur la scène de l’Académie impériale de musique de Paris, Le Corsaire, bien que français, - et il appartient aux Russes de l’avoir ensuite popularisé - n’a jamais figuré au répertoire de l’Opéra de Paris, Noureev ne s‘attelant dans ses relectures qu’à celles de son héritage propre, comme la fameuse Bayadère. L’argument était emprunté à Byron, la musique signée d’Adam, auteur de Giselle, et la chorégraphie était de Joseph Mazilier, alors l’un des grands de la chorégraphie européenne - marseillais d’ailleurs comme plus tard Petipa. Le succès fut considérable. Puis l’oubli, heureusement comblé par la relecture qu’en donna ensuite Petipa à Saint Pétersbourg, où le ballet allait connaître une longue vie.
On a d’ailleurs vu récemment - juin 2016 à l’Opéra de Paris -, la très heureuse relecture que l’English National Ballet avait faite de ce ballet séduisant et coloré, grâce à un travail de fourmi d’Anna Marie Holmes (2).  En fait, l’œuvre n’a vraiment survécu dans nos mémoires que grâce à un fameux pas de deux de haute école dansé dans tous les galas comme un sommet de style et de virtuosité, et que Petipa rajouta à son ballet en demandant une musique à Drigo. Paris garde notamment le souvenir d’une Sylvie Guillem dans l’éblouissement de ses dix-neuf ans, le dansant avec un Patrick Dupond au meilleur de son talent.
 
Toute l’histoire des grands ballets classiques est ainsi un patchwork de notes et de gestes, et l’œuvre de Belarbi ne faillit pas à la règle, tout au moins sur le plan musical puisqu’il a demandé à David Coleman, passionné de ballet, d’enrichir la partition d’Adam avec des extraits d’Arenski, Lalo, Massenet et Sibelius. On ne s’en plaint pas, le goût étant sûr et le choix heureux. 

© Francette Levieux

Belarbi, donc, a ici redonné à l’orientalisme un rien démodé du vieux ballet, du piquant et de la fraîcheur, accentué les couleurs dans des tonalités plus vivaces, avec des idées souvent drôles,  créé tout un climat de langueurs sensuelles, imaginé des danses de caractère absolument irrésistibles, comme celles des femmes corsaires, et développé un art du pas de deux que son immense fréquentation des rôles classiques lui a permis de maîtriser en le renouvelant avec un chic tout personnel et un naturel dans les bras et les parcours qui remonte à Fokine. Le tout dans les costumes pétillants d’Olivier Blériot, qui lui aussi allège le clin d’œil à l’Orient de légende. Vision nouvelle qui ne trahit pas ses origines, ne viole pas l’histoire, et garde une fidélité précieuse à la structure du ballet classique, tout en le revivifiant pour le goût contemporain, et notamment à Toulouse, où la jeune génération n’a guère eu l’occasion de se familiariser avec le grand art classique chorégraphique.
 
Régal donc que cette brillante fresque, marquée d’un talent de narrateur incontestable et d’une intelligente complicité avec des sensibilités passées que Belarbi sait à merveille réveiller. Comme on l’a vu depuis avec une Giselle d’exception, créée l’an passé. Quant au Ballet du Capitole, en progrès constant, il ne recèle pas de stars, on n’en voit guère d’éléments dans les pages people, mais il travaille avec passion, a su acquérir un véritable style et comporte en son sein des personnalités dont on ne se lasse pas, à commencer par la fine et émouvante Maria Gutierrez, qui a marqué de sa grâce légère tous les grands rôles créés par Belarbi à Toulouse. La reprise de ce Corsaire a donc des allures de fête, et les parisiens pourront enfin en juger puisque le ballet sera donné en juin au TCE, où la compagnie se produira pour la première fois.
 
Jacqueline Thuilleux

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(1)Lire le CR du 16 mai 2013 : http://www.concertclassic.com/article/le-corsaire-de-kader-belarbi-par-le-ballet-du-capitole-comme-un-beau-conte-compte-rendu
(2)Lire le CR du 21 juin 2016 : http://www.concertclassic.com/article/le-corsaire-par-lenglish-national-ballet-au-palais-garnier-de-la-dynamite-compte-rendu  

Le Corsaire (mus. Adam + Arenski, Lalo, Massenet, Sibelius – chor. K. Belarbi) -  Toulouse, Théâtre du Capitole, les 20, 21, 22, 23, 25 octobre 2016. www.theatreducapitole.fr.
Paris (TCE), les 20, 21, 22 juin 2017. www.theatrechampselysees.fr   
 
Photo © Francette Levieux

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