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Le Couronnement de Poppée par David McVicar au TCE - Un regard révélateur - Compte-rendu

On n’en voudra pas à David McVicar de s’être invité au Couronnement de Poppée comme dans une auberge espagnole. Tout reste possible dans cette œuvre dont les sentiments sont frappés d’éternité et les intrigues politico amoureuses toujours d’actualité. Que Poppée se promène en nuisette, que Néron soit coiffé à la rasta et ses gardes des beaux gosses mafiosi avec lesquels il partage aussi bien le sexe que la vodka et la cocaïne n’est pas écrit contre la vérité historique, mais une simple transposition. McVicar a choisi un angle de lecture inédit et assez pertinent : il voit dans ce livret si puissant et si implacable la libération progressive de l’empereur par sa prise de conscience de son pouvoir absolu.

La scène sur le catafalque de Sénèque est plus qu’une provocation, une catharsis. Le cercueil parait, porté par les gardes, coiffés de chapeaux melons, (on songe au Chicago de Bob Fosse), et le duo passionné entre Néron et son favori, Lucain, avoue dans une débauche singulière où se mêlent les sbires qu’en ordonnant à Sénèque de se révolvériser, l’empereur s’est débarrassé de toutes les entraves de la morale dont son précepteur était le symbole. Ottone et Drusilla l’aideront involontairement à se défaire d’Ottavie, il pourra partager le trône avec sa courtisane et prospérer dans la débauche.

McVicar ne renonce à rien, la mort de Sénèque, filmée comme une émission littéraire, un Valletto (qui bien sûr est aussi Amore) racaille et détonnant (la génialissime Amel Brahim-Djelloul, voix de Chérubin d’une amplitude et d’un caractère unique, pour laquelle Andrew George s’est fendu de chorégraphies décoiffantes), des nourrices déjantée (Tom Allen en Arnalta est indescriptible et son show très Drag Queen lorsqu’il accède au pouvoir dans le sillage de Poppée vaut le détour, mais l’inaltérable nutrice de Dominique Visse n’est pas en reste, comédien subtil jusque dans les excès du buffo), toute une vraie troupe de théâtre où des caractères marqués même dans les emplois les plus épisodiques (le Liberto d’Enrico Facini) renforce la cohérence du propos de McVicar.

La direction bavarde et multicolore de René Jacobs donnait beaucoup de détails à entendre souvent au détriment de l’impact dramatique, et accompagnait plutôt qu’elle ne soutenait une équipe de chant disparate. Le pâle Sénèque de Roberto Abete avec son grave captif est déjà oublié, comme l’Ottone pataud et fade de Lawrence Zazzo, et la Drusilla transparente de Carla di Censo. Ciofi s’est égarée en Poppée, ses aigu passent, son médium savonne, de bout et bout elle est prisonnière de son instrument que l’on sent épuisé, vidé de toute substance et cherche à compenser par un délicieux jeux de scène un canto falso déprimant. Anne Sophie von Otter, que l’on croyait perdue vocalement campe une Octavie qui emplit tout le Théâtre des Champs-Elysées, avec une autorité sidérante, et la douleur à vif de son Addio Roma confirme qu’elle demeure sans équivalent pour l’incarnation des grandes figures tragiques de l’opéra baroque.

Longtemps Poppée, Antonacci chantait ses premiers Néron, et les jouait surtout avec une finesse, une subtilité démoniaque, une sensualité morbide doublés d’une autorité vocale jamais prise en défaut. Dans les beaux décors de Robert Jones (avec ce canapé crocodile inédit), avec les éclairages inventifs de Paule Constable, McVicar a réussi son pari. Et Antonacci retrouvera Poppée pour une autre mise en scène du Couronnement à Garnier, en janvier prochain.

Jean-Charles Hoffelé

Monteverdi : Le Couronnement de Poppée, Paris,Théâtre des Champs-Elysées, 15 octobre, puis les 17, 19, 21, 23 octobre 2004

Photo : Anna Caterina Antonacci (Néron) et Patrizia Ciofi (Poppée) © Alvaro Yanez.

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