Journal

Le Lac des cygnes à l’Opéra Bastille – Le niveau d’eau est maintenu – Compte-rendu

 

Inusable, ce Lac, qui depuis 150 ans continue de séduire et parfois de fasciner. A l’Opéra de Paris, où il est régulièrement redonné comme étendard d’une conquête de l’excellence, qui se plaindrait de goûter à la fois la beauté fatale de la musique de Tchaïkovski, laquelle noue les entrailles, alternant lyrisme éperdu et danses virevoltantes en une succession superbement équilibrée, la splendeur absolue des costumes de Franca Squarciapino, inspirés d’un féerique Art nouveau, sur fond de décors austères d’Ezio Frigerio, et la profondeur de la chorégraphie du tandem Petipa-Ivanov qui fait irrésistiblement songer à la sinistre Neva, et à ses eaux glacées ?
 

© Yonathan Kellerman - OnP 

Des pages d’histoire de la danse, auxquelles tous les chorégraphes ont ajouté leur trait de plume, mais en gardant l’essence du drame, fait de solitude, de quête d’identité, d’écrasement par un pouvoir vain, et d’angoisses existentielles qu’un Preljocaj transforme aujourd’hui en drame planétaire. Magie noire, beauté blanche, pureté et désir de destruction, voire d’autodestruction, comme Noureev sut le faire parler dans cette version, conçue par lui pour l’Opéra en 1984, et qui ajoute aux souvenirs russes, une recherche psychologique étoffant les personnages du prince, dont le rôle se réduisait surtout jusqu’alors à celui de porteur et de son sinistre précepteur, qui le conduit à la mort. Chorégraphie sacrée, donc, pour ses instants les plus prenants, avec le célébrissime tableau des cygnes entourant leur reine prisonnière du sorcier, et occasion pour les danseurs d’atteindre à l’impalpable: une démarche, il faut bien l’avouer, que les grands danseurs russes sont généralement les seuls à avoir atteinte tant le battement des bras-ailes fait partie de leur biberon.
 
En France, où nous eûmes quelques beaux oiseaux, l’Opéra a dû cette fois plonger dans ses jeunes forces pour pallier les carences des étoiles en titres, surtout pour les garçons, épuisés par les foudroyants portés que leur a imposés le récent Mayerling. Avec un Hugo Marchand aux abonnés absents, un François Alu englouti par l’aventure du star-system, et plusieurs autres fatigués, voici que le contingent des premiers danseurs récemment promus et même des sujets a dû être exploité, des Marie-Louise en quelque sorte. Avec de riches surprises, notamment pour le jeune Guillaume Diop, à l’incontestable présence. Superbe incarnation aussi pour le magicien-précepteur Rothbart, incarné par Thomas Docquir, saisissant de violence et de cruauté.
 

© Yonathan Kellerman - OnP
 
Et des déceptions, car là où on attendait Jérémy-Loup Quer, lui aussi remarquable et sardonique Rothbart dans d’autres distributions, sa prise de rôle en prince Siegfried a surpris par sa transparence et sa rigidité, malgré une plastique de prince idéal. Quant aux reines-cygnes, plus présentes, l’inoxydable Dorothée Gilbert a comme toujours montré une technique impeccable autant qu’épurée, Myriam Ould-Braham a fait des étincelles  et Amandine Albisson, de retour après un heureux événement, en a créé un autre avec ses superbes arabesques et son visage mutin sur lequel le désespoir de l’héroïne blanche et la méchanceté séduisante de son double noir au 3acte ont imprimé un masque d’une grande intensité.
 
Mais face à cette diversité de talents, le meilleur est revenu pour une fois à la troupe comme réveillée, dynamisée, et virevoltant avec un entrain qui n’avait rien de convenu. Notamment pour le contingent des garçons, superbes dans les festivités du 1er acte, où l’éclatant Antoine Kirscher, tout récemment promu premier danseur, a secoué la salle comme un jeune étalon, déchaînant les applaudissements là où le prince peinait à convaincre. Belle surprise, et espoir de voir ainsi de jeunes danseurs se battre pour garder leur magie à des œuvres dont on croit qu’elles ont déjà tout dit. En revanche, pas de surprise avec la baguette de Vello Pähn, qui baigne dans ce répertoire depuis des décennies, ne s’en lasse pas, ne nous en lasse pas, et maintient l’orchestre de l’Opéra en une forme olympique. 
 
Jacqueline Thuilleux
 

Le Lac des cygnes (Tchaïkovsky/Noureev) – Paris Opéra Bastille, 29 décembre ; dernièresn représentations 31 décembre 2022 & 1er janvier 2023 // www.operadeparis.fr/saison-22-23/ballet/le-lac-des-cygnes

 
Photo © Yonathan Kellerman - OnP

Partager par emailImprimer

Derniers articles