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Le Nozze di Figaro selon James Gray au Théâtre des Champs-Elysées – Approche classique et bonheur vocal – Compte-rendu

En invitant James Gray à mettre en scène Le Nozze di Figaro au Théâtre des Champs-Elysées, son directeur, Michel Franck, n'a pas cherché à faire un coup médiatique car l'histoire de l'opéra est peuplée de cinéastes qui s'y sont essayé avec des bonheurs divers : Visconti, Scola, Polanski, Losey, Allen, Cavani, Jacquot, Schröter ou Hanecke, pour ne citer qu'eux, ont ainsi été amené à tenter l'expérience et cette pratique ne s’est jamais démentie.
 
© Vincent Pontet
 
En répétant à qui voulait l'entendre qu'il ne souhaitait pas révolutionner l'art lyrique, le réalisateur de Two lovers et de The Immigrant n'a donc surpris personne : aussi nous a-t-il livré un spectacle on ne peut plus classique en opposition totale avec ce qui se passe aujourd’hui sur la plupart des scènes européennes. Ce retour en arrière, qui aurait sans doute suscité les rires – ou les sourires –  s'il avait été proposé par un autre que lui, lointainement inspiré par la légendaire production de Strehler (qui date tout de même de 1973), n'est en rien déshonorant, mais nous étions tout de même en droit d'attendre quelque chose de plus audacieux de la part d'un réalisateur aussi talentueux. Que les nostalgiques se rassurent, rien ici n'a été oublié, des décors traditionnels (Santo Loquasto) aux costumes d'époque (Christian Lacroix, toujours lui !), aux coiffures de ces messieurs piquées de fleurettes. Pas un ruban, pas un voile de mariée, pas une guitare ni un pot de géraniums ne manquent à l'appel, dans un souci de précision qui confine à la naïveté. Heureusement pour nous le travail est soigné et chaque interprète joue une partition parfaitement huilée. Aucune faute de goût n'est donc à relever, aucun temps mort à déplorer, mais que deviendrions-nous si nous devions nous contenter d’approches aussi conventionnelles? La scène contemporaine ne pourrait se contenter de telles propositions, car elle ne peut être un lieu rétrograde.
 
© Vincent Pontet
 
Le plateau vocal est par bonheur de tout premier ordre : Stéphane Degout campe un Comte superlatif, dont la voix qui s'est encore élargie et a gagné en patine, exprimant toutes les facettes de ce personnage ambigu. Hier gracieuse Violetta, Vannina Santoni est une Comtesse majestueuse et frémissante, dotée de superbes moyens (le tempo étiré du « Dove sono » donne à son interprétation un aspect flottant irrésistible), d'un jeu subtil et d'une allure qui rappelle celle de Marisa Berenson dans Barry Lindon. La Susanna d'Anna Aglatova, clone de la Bartoli des débuts –  sans les afféteries et les horripilants triples r roulés que celle-ci nous a toujours assénés – s'épanouit totalement dans ce rôle après un début en retrait, agréablement appariée au Figaro tonique et incisif de Robert Gleadow, un peu juste dans « Aprite un’po quegli occhi », mais d'une crédibilité scénique à toute épreuve. Si Eléonore Pancrazi est amusante à voir, son Cherubino n'est pas inoubliable à entendre, Jennifer Larmore et Carlo Lepore croquant avec drôlerie Marcellina et Bartolo, suivis de près par Mathias Vidal (Basilio), Matthieu Lécroart (Antonio) et Rodolphe Briand (Curzio), sans oublier la fraîche Florie Valiquette en Barbarina.
Dans la fosse, Jérémie Rhorer poursuit son voyage en terres mozartiennes après Don Giovanni, Clemenza et Entführung en parvenant à tendre le tissu orchestral de son Cercle de l'Harmonie et à obtenir un résultat où la fantaisie, la légèreté et la vivacité se répondent dans un esprit de troupe accompli, qui plonge l'auditeur dans une réjouissante effusion musicale.
 
François Lesueur
Mozart : Le Nozze di Figaro  – Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 26 novembre ; prochaines représentations les 29 novembre, 1er, 3, 5, 7 & 8 décembre 2019 / / Diffusion (en léger différé) à Paris, le 6 décembre à 20h, dans les Cinémas MK2 Bibliothèque, MK2 Quartier Latin et MK2 Les Quais  // www.theatrechampselysees.fr/la-saison/opera-mis-en-scene/les-noces-de-figaro
 
© Vincent Pontet
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