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Le Quatuor Diotima aux Bouffes du Nord - L’axe viennois

En 1937, à l’occasion de la création du 4ème Quatuor de Schoenberg, le Quatuor Kolisch donnait à Los Angeles une série de concerts mettant en regard les créations de l’auteur des Gurre Lieder avec les ultimes quatuors de Beethoven. Ce projet, au centre duquel se logent les concepts de filiation et de transmission, et l’idée de le renouveler, avaient tout pour séduire Georges Zeisel et ses fidèles de ProQuartett qui fêtent cette saison leurs vingt-cinq ans dédiés au Quatuor. Ils ne pouvaient trouver d’officiants plus inspirés que les membres du Quatuor Diotima, si dévoués à la création, pour rééditer le projet des Kolisch. Avec pour l’œuvre à créer rien moins que le Livre pour quatuor commencé par Pierre Boulez en 1948, réouvert pour l’occasion, mais, comme on le verra, pas encore totalement refermé. Altiste des Diotima, Franck Chevalier s’est fait le porte-parole de la formation pour répondre à Concertclassic.

En présentant ce nouveau cycle de quatre concerts consacrés à Beethoven, Schoenberg et Boulez, vous revenez à l’axe viennois. Quelles sont les raisons de cette fascination du Quatuor Diotima pour les deux écoles de Vienne ?

Franck CHEVALIER : Notre idée est plutôt de travailler sur la modernité. Schoenberg est l’un des pères de la musique d’aujourd’hui. Nous nous sommes toujours passionnés pour les grands maîtres du début du XXe siècle, évidemment la Seconde Ecole de Vienne, mais également Bartok, Debussy, Szymanowski, Janacek qui sont aux racines directes de la création d’après 1950. Nous avons voulu reprendre l’idée qu’avait eue Schoenberg lors de la première de son 4ème Quatuor : mettre en regard celui-ci avec les derniers quatuors de Beethoven – des partitions éternellement contemporaines pour paraphraser Stravinsky - ces derniers quatuors de Beethoven qui nous habitent et nous fascinent depuis très longtemps, auquel nous revenons sans cesse. Ce couplage nous a semblé évident, d’autant que lors de la création du 4ème Quatuor de Schoenberg, le Quatuor Kolisch l’avait déjà réalisé. Nous avons écouté attentivement leurs disques, et surtout nous nous somme plongés dans l’impressionnant ouvrage rédigé par Rudolf Kolisch sur les tempos dans les quatuors de Beethoven. Comme vous le savez, Beethoven a noté ses tempos jusqu’à l’opus 95, mais après les manuscrits ne portent plus aucune indication de ce type. Kolisch a effectué des corrélations avec les tempos notés par Beethoven pour les sonates de piano contemporaines ; c’est un guide précieux, procédant par analogie ; nous nous en sommes volontiers inspirés. D’ailleurs nous pourrions nous revendiquer d’une certaine filiation avec le Quatuor Kolisch puisque nous avons travaillé avec Walter Levin, le primarius du Quatuor LaSalle qui lui-même avait étudié auprès de Rudolf Kolisch. En écoutant les enregistrements des Kolisch nous avons été surpris par leur modernité. Si certains quatuors, comme par exemple le Quatuor de Budapest ou le Quatuor Capet, sont vraiment établis dans un temps historique donné, et ce jusque dans leurs phrasés, les Kolisch jouent moderne. Selon eux la lisibilité du texte, et la fidélité à celui-ci sont essentiels, c’était un fait assez rare à l’époque, nous y sommes habitués aujourd’hui puisqu’il a été théorisé et mis en pratique depuis Nikolaus Harnoncourt, mais cette manière d’envisager le texte était alors tout à fait nouvelle. A ce projet nous avons voulu adjoindre une création …

Justement, quelle a été la réaction de Pierre Boulez lorsque vous lui avait demandé de reprendre son Livre pour quatuor ?

F.C. : Je crois que d’abord l’idée de reprendre les quatuors de Schoenberg et les ultimes quatuors de Beethoven, en quelque sorte de réitère le projet du Quatuor Kolisch, a toute suite attiré son attention Il connaît intimement les quatuors de Schoenberg, cela on pouvait s’y attendre, mais également ceux de Beethoven. Je crois que l’idée de faire voisiner Livre avec ces œuvres a produit le déclic qui lui manquait pour reprendre la partition, car avant nous nombre de formations ou d’institutions lui avaient demandé de compléter l’œuvre, souhaits restés sans effet.
L’histoire de cette pièce est complexe, elle date de 1948/1949. Pierre Boulez a vingt trois ans, il travaille sur Mallarmé et sur René Char, Le Marteau sans maître se profile pour ainsi dire, il écrit les Relevés d’apprentis, c’est une période très féconde pour sa création, qui se fait de plus en plus radicale et revendicative. Il essaie de trouver son propre matériaux, son propre vocabulaire, sa propre grammaire. L’homme est en plein révolte, et Livre est à son image. Revenant aujourd’hui à Livre, Pierre Boulez a du effectuer un important travail de réappropriation de cette partition, il a dû se confronter au personnage qu’il était alors.
Un autre point décisif a certainement été l’idée d’apparaître clairement dans cette filiation, et de faire lui-même œuvre de transmission. Ceci dit il n’a pas parachevé l’œuvre, Livre est encore « a work in progress » ; son travail a été ralenti par quelques problèmes de santé, et tout cela lui a pris beaucoup plus de temps que prévu, il n’avait d’ailleurs plus le manuscrit, la Fondation Sacher a dû le lui restituer. Il devrait parachever l’œuvre dans le courant de l’année prochaine. Ce que nous jouerons sera donc Livre dans son dernier état, en quelque sorte « à ce jour ». Entre autre il y a réintroduit les protocoles de nuances qui sont très précis, comme dans toute œuvre sérielle.

Quels sont vos prochains projets ?

F.C. : Nous allons nous immerger dans Bartok, ce sera notre grande préoccupation pour les temps à venir, et nous assurerons évidemment des créations d’œuvre d’Hosokawa ou d’Alberto Posadas dont nous donnerons enfin le grand cycle dans sa version complète. Au disque c’est tout autre chose ; nous publierons un ensemble Schubert avec quatre quatuors de jeunesse et le Quintette à deux violoncelles avec Anne Gastinel.

Propos recueillis par Jean-Charles Hoffelé, le 3 novembre 2012

Cycle Beethoven-Schoenberg-Boulez
Quatuor Diotima, Juliane Banse (le 25/11)
19 et 25 novembre, 2 et 10 décembre 2012
Paris - Théâtre des Bouffes du Nord
www.proquartett.fr / www.bouffesdunord.com

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Photo :DR (de gauche à droite : Pierre Mortet (violoncelle), Yun Peng Zhao et Guillaume Latour (violons), Franck Chevalier (alto))
 

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