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Le Songe d’une Nuit d’été de John Neumeier par le Ballet de Hambourg – A ne pas se réveiller – Compte-rendu
Automne rougeoyant pour le Ballet de Hambourg et son infatigable maître John Neumeier : outre la création très attendue en décembre de son dernier opus La Ménagerie de verre, sur la pièce de Tennessee Williams, le chorégraphe a fait remonter d’un passé déjà glorieux l’un de ses plus subtils et réjouissants chefs-d’œuvre, ce Ein Sommernachstraum d’après Shakespeare qu’il créa en 1977. Et contrairement aux ballets de Béjart, qui portèrent la marque de leur temps – à l’exception de quelques pièces indélébiles comme le Sacre du Printemps et le Boléro –, ceux de Neumeier en sont moins affectés car la mode les a peu effleurés, l’essentiel étant leur profonde adéquation avec la musique ou le théâtre : ce qui lui a permis de mettre en pas Bach et à peu près tout l’œuvre symphonique de Mahler, tout en recréant l’univers shakespearien et en faisant revivre des drames scéniques comme la Dame aux camélias, autrement que par le biais verdien.
© Kiran West
La parcours dansé, jamais atteint par la lourde pantomime du ballet classique, trace dans ce Songe avec une inimaginable souplesse les états d’âme, les atermoiements, les douleurs des héros, en une fusion où cocasserie et fantasmagorie s’enchaînent avec une intelligence qui laisse pantois, tandis que les corps échappent à toute gravité et que le temps court ou s’arrête suivant les musiques choisies : Mendelssohn bien évidemment pour évoquer le petit et le grand monde des sentiments humains, Ligeti pour figer ces tracasseries et exsuder l’essence de l’amour, en des scènes d’un érotisme qui n’est pas toujours impalpable, ainsi lorsque Titania se prend de passion pour l’âne Bottom, orgue de barbarie enfin pour évoquer l’inénarrable divertissement de Pyrame et Thisbé. Le tout lié par une idée de génie, celle de ne faire qu’un seul couple des quatre héros, Hippolyte et Thésée, Titania et Obéron, devenus ainsi les facettes d’un même trouble amoureux. Dédoublement que Neumeier sait admirablement manier en magicien de l’âme, comme il le fit dans Daphnis et Chloé, où le rêve porte les héros vers leur vérité bien plus que leurs relations apparentes.
© Kiran West
On plane avec les elfes, on virevolte avec les couples qui se perdent, se chamaillent et se retrouvent dans la forêt, on s’esclaffe, on ressent tout le trouble d’une jeune fille prête à devenir femme devant un promis à l’air indifférent, une quête de soi, de l’autre, un tourbillon de désirs que la malignité du petit génie Puck vient rendre confus, et comme cadeau inattendu, les scènes les plus drôles que le ballet ait jamais portées, sauf peut-être la Symphonie in D de Jiri Kylian et The Concert de Jerome Robbins. Car n’est rien n’est plus rare que le rire dans le ballet, auquel ses diktats d’élégance et de transcendance corporelle ne semblent pas prêter. Mais là, bien plus que de sourire, c’est d’éclats de rire qu’il s’agit véritablement, que ce soit lorsque les artisans apparaissent déguisés en mur, que Thisbé, gigantesque sur ses pointes masculines, s’écroule en tirant sur ses nattes-ficelle, que la lune s’agite au bout d’un bâton, sur le fond hilarant des plus déchirantes mélodies de La Traviata, égrenées à l’orgue de barbarie. Un cocktail disparate où chaque loufoquerie rebondit et met en joie.
© Kiran West
A Paris, le public connut bien ce ballet, présenté il y a longtemps au Théâtre de la Ville, puis entré en 1982 au répertoire de l’Opéra de Paris, qui y fit briller ses plus grandes étoiles, de Pontois et Loudières à Lormeau et Jude, outre un Dupond dont ce fut un des meilleurs rôles. Avant que la sève ne s’assèche. A Hambourg, véritable temple de l’œuvre de Neumeier, le courant, heureusement entretenu par la vénération que les danseurs éprouvent pour leur maître, garde sa vivacité et le ballet semblé né du jour, avec des interprètes qui épousent moins académiquement qu’à Paris toutes les nuances de la pensée du chorégraphe, et voltigent de portés invraisemblables en arrêt sur images, comme si tout s’enchaînait de la façon la plus évidente. Emblématiques, quelques scènes-clefs sur le plan de la construction gestuelle continuent d’éblouir, ainsi le sommeil de Titania, portée et bercée par ses elfes, mais à côté de ces tableaux fascinants par leur tracé, tout parle, tout émeut, tout vit. Et l’étincelant Alexandr Trusch, l’un des plus intéressants danseurs de la compagnie, est évidemment le maître de ce jeu de dupes qui tourne à la joute amoureuse avec son agilité démoniaque : silhouette d’Apollon, frimousse de lutin.
Si l’on trouve moins de charisme au spectaculaire Christopher Evans en Oberon, par ailleurs admirable porteur, on est conquis par la finesse et la fluidité de libellule d’Alina Cojocaru, ballerine roumaine qui est l’une des muses de John Neumeier, dont elle transmet les moindres inflexions, et on se régale de voir Alexandre Riabko, que l’on connaît mieux en bouleversant interprète du rôle-titre de Nijinsky, bondir en officier moustachu, puissant, aérien, et délicieusement ridicule.
Mais tous seraient à citer, notamment la fine équipe de Pyrame et Thisbé, qui fait revivre la verdeur élisabéthaine, et garde au ballet une fraîcheur qui n’a pas pris une ride, tandis que l’Orchestre Philharmonique de Hambourg, mené prestement par Markus Lehtinen, ne permet pas le moindre amollissement, et que les décors alternant entre le pompeux Premier Empire et le vaporeux de la forêt rappellent quel immense plasticien et costumier est Jürgen Rose. Lorsque l’enchantement se fait à la fois troublant et rieur, la scène pétille…
Jacqueline Thuilleux
Le Songe d’une Nuit d’été (chor. J. Neumeier) - Opéra de Hambourg, le 28 octobre 2019 ; prochaines représentations, les 7 et 10 novembre 2019.
La Ménagerie de verre, les 1, 3, 5, 7, 12, 13, décembre 2019, 26, 30, 31 janvier 2020. www.hamburgballett.de
Photo © Kiran West
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