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Leonardo García Alarcón célèbre Cavalli au Festival de Saintes – Il teatro dei sensi – Compte-rendu

De Mala Punica explorant des musiques des XIVe et XVe siècles à l’Ensemble intercontemporain interprète de Kurtág, en passant par le Jeune Orchestre Atlantique dans Berlioz, la programmation 2016 du Festival de Saintes démontre que celui-ci n’a plus rien à voir avec la manifestation uniquement tournée vers la musique baroque que d’aucuns continuent parfois d’imaginer.

Sous l’impulsion de Stephan Maciejewski, son directeur artistique, le festival charentais a fait de la diversité une règle d’or. Et ce même dans le répertoire baroque. Il continue certes d’occuper une belle place, mais hors de question de se limiter à Bach : Purcell, Monteverdi, Telemann ou Marais par exemple auront été bien servis cette année, mais aussi – et comment !  - Francesco Cavalli, unique objet d’un programme dirigé par Leonardo García Alarcón à la tête de sa Capella Mediterranea.
Depuis une Elena très applaudie au Festival d’Aix-en-Provence en 2013 (1), les affinités du chef argentin avec cet auteur ne sont plus à démontrer, confirmées l’an dernier par un magnifique double album (embrassant la totalité des 27 opéras du maître italien qui nous sont parvenus, sur un total de 33), interprété par la soprano Mariana Florès et la mezzo Anna Reinhold.(2)

(a dr., du devant au fond) Anne Reinhold, Mariana Florès, Giuseppina Bridelli © Michel Garnier

Dans le même esprit, Alarcón a imaginé spécialement pour Saintes une anthologie de solos, duos et trios (issus d’un vingtaine d’ouvrages), intitulée « Il teatro dei sensi » (Le théâtre des sens), pour laquelle la voix de la mezzo Giuseppina Bridelli est venue s’ajouter à celles de M. Flores et A. Reinhold.

« Il teatro dei sensi » : dès le sensuel air de Vénus « Mira questi due lumi » (Le nozze di Teti e di Peleo), Mariana Florès donne le ton d’un programme dont la passion amoureuse constitue le fil conducteur. Une passion source de plaisir, de souffrance aussi ; tel est le cas dans le « Vogli, deh vogli il piede » de Procris (Gli amori di Apollo e Dafne), où l’interprète traduit de bouleversante façon le désir mêlé à la douleur, mais aussi dans le « Occhi per pianger nati » (La virtù de’ strali d’Amore) d’une Eumete résolue à rejoindre son amant dans la mort. Et l’on s’en voudrait d’oublier le « Menfi, mia patria » d’Ermosilla (Statira), gorgé de solitaire amertume, et plus encore le long lamento d’Isifile «Lassa, che far degg’io » (Giasone) dans lequel M. Florès sonde avec tact et noblesse une âme qui « est la souffrance même ».

(de g. à dr. ) Mariana Florès, Giuseppina Bridelli, Anna Reinhold © Michel Garnier

Que de force, de naturel dans l’expression des sentiments humains de la part d’un compositeur dont les interprètes saisissent l’immédiateté du propos avec un impeccable sens des mots. M. Florès  - Mme Alarcón à la ville  -  est certes relativement gâté par un choix d’airs qui lui permettent de déployer tout son sens dramatique, mais à ses deux partenaires reviennent des pages assez extraordinaires aussi. A commencer par « Dell’antro magico », l’air de Médée (Giasone) dans lequel Anna Reinhold, portée par l’accompagnement d’Alarcón et de ses musiciens, s’adresse de saisissante manière au « Grand monarque de l’ombre » - un frisson parcourt l’auditoire...
Nullement en reste, Giuseppina Bridelli, que l’on découvre à l’occasion de ce programme, met son instrument richement timbré au service d’un beau sens du théâtre. Sur un mode désespéré dans le « Non col ramo di Cuma » de Nerea (La Rosinda), léger et souriant dans le « Quest’è un gran caso » de Vafrino (Ipermestra).

Alarcón a su réunir trois personnalités vocales aussi affirmées que complémentaires, ajoutant à la diversité et au relief d’un « best of » cavallien dont la fluidité et la cohérence musicale et dramatique auront tenu le public coi d’admiration une bonne heure et demie durant. Complémentarité des timbres que l’on apprécie par exemple, avec G. Bridelli et A. Reinhold, dans le « Dolcissimi baci » (La Calisto) de Diane et Endimione, d’une sensualité exacerbée, avec M. Florès et G. Bridelli, dans le duo d’Eritrea et Laodicea « Oh bella facella » (L’Orione), ou enfin, en trio, dans le très monteverdien « Pur ti stringo, pur t’annodo » d’Eliogabalo, jubilatoire finale d’un ouvrage de 1667, que Leonardo García Alarcón fera découvrir au public parisien à Garnier, du 14 septembre au 15 octobre, dans une mise en scène de Thomas Jolly, en ouverture de la saison de l’Opéra de Paris.(3)
 
Bonheur sans mélange que ce « Teatro dei sensi », grâce aux trois solistes évidemment, mais aussi par la richesse évocatrice qu’Alarcón (qui se partage entre le clavecin et le positif), fabuleux sculpteur de son, obtient de la partie instrumentale, entouré de musiciens tous admirables. Deux exemple seulement : la délicatesse infinie de la dentelle sonore qu’il tisse pour le « Dimmi Amor » de Diomède (Oristeo), dans un parfait unisson poétique avec M. Florès, et, à l’opposé, l’énergie et l'âpreté, très visuelles, qu’il obtient pour l’incantatoire « Dell’antro magico » de Médée.

La retransmission en direct sur Radio Classique a permis à chacun de juger de l’exceptionnelle qualité d’un concert salué par l’impressionnante ovation d’une Abbaye aux Dames archi comble.

Alain Cochard

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  (1) disponible en DVD chez Ricercar (2 DVD RIC 346) 
  (2) 2 CD Ricercar RCI 359
  (3) www.operadeparis.fr/saison-16-17/opera/eliogabalo

Saintes, Abbaye aux Dames, 11 juillet 2016.
Festival de Saintes, jusqu’au 16 juillet 2016 / www.festivaldesaintes.org

Photos Leonardo García Alarcón © Jean-Baptiste Millot

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