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Les Dialogues des Carmélites selon Emma Dante à l’Opéra de Rome – Dialogues embrouillés – Compte-rendu

 
Les affres de la Révolution française, la mise au ban de la religion et de ses représentants, la Terreur et son lot de violence, de meurtres et de discriminations ne pouvaient laisser Emma Dante insensible. Elle qui s’intéresse depuis toujours à l’Histoire, à la défense des traditions populaires, aux exclus et aux causes perdues a sans doute trouvé dans ces Dialogues des Carmélites de Bernanos mis en musique par Poulenc, matière à réflexion. On le sait l’italienne aime les sujets forts et les personnages complexes qui lui permettent d’exprimer ses passions et d’exorciser ses douleurs.Trahie cependant par ses émotions et par le désir de tout traiter dans un même mouvement enthousiaste dans son nouveau spectacle, celle-ci donne le sentiment de vouloir courir trop de lièvres à la fois, au risque de se perdre. Au lieu de s’en remettre aux faits, de raconter le drame de cette communauté religieuse démantelée et celui, plus personnel, de la novice Blanche de la Force terrorisée par le monde dans lequel elle ne peut plus vivre, la metteuse en scène mélange inutilement les signes et les époques : pourquoi ces costumes ridicules qui transforment les Carmélites en combattantes avec casques et armures alla Piero della Francesca ?, pourquoi cette galerie de portraits de femmes qui tapissent l’Hôtel particulier du père de Blanche, tous postérieurs à la Révolution ? et que l’on retrouvera plus tard au couvent derrière des confessionnaux portatifs ? ; autant de question restées sans réponse.
 

© Fabrizio Sansoni - Teatro dell'Opera di Roma

La scénographie signée Carmine Maringola qui alterne plateau nu, cloisons façon moucharabieh, buanderie où l’immense table à repasser deviendra lit de douleur de Mme de Croissy, ne fait qu’ajouter à la confusion d’un propos qui ne semble qu’en partie maîtrisé. Et que dire de ces femmes aux longs cheveux (récurrentes et obsessionnelles comme chez Pina Bausch) qui s’ébrouent en tous sens entre deux tableaux et iront jusqu’à chevaucher des bicyclettes, si ce n’est que leur anachronisme s’apparente davantage à du remplissage qu’à une véritable interprétation. Ainsi hachée, il n’est pas toujours facile de suivre l’intrigue l’on aurait aimé voir traitée avec plus d’honnêteté et osons le terme, de sérieux.

Pour une bonne idée, celle de faire boiter les Carmélites en leur écrasant le pied avec quatre lourdes pierres, terrible supplice initiatique marquant leur arrivée, combien d’idées saugrenues comme cette nonne en pénitence sur une croix, ou ratée lorsqu’au final Blanche attendue par Sœur Constance sur l’échafaud, apparaît, elle aussi, sur une croix à plusieurs mètres du sol, effet désastreux qui rompt toute l’étreignante beauté de la scène.
Faute de décors susceptibles de renvoyer les sons et d’une fosse d’orchestre trop relevée, plusieurs interprètes ont fait les frais de cette mauvaise acoustique. Le Marquis de la Force de Jean-François Lapointe est ainsi passé inaperçu, comme la prestation de son fils chantée par Bogdan Volkov.
 

© Fabrizio Sansoni - Teatro dell'Opera di Roma

Très attendue dans le rôle de La Prieure, Anna Caterina Antonacci a dû lutter contre une phalange enragée pour se faire entendre et traduire vocalement ce que sa performance scénique avait de magistral. Malgré cela la cantatrice italienne s’est montrée à la hauteur de ce personnage noble et puissant, qui sombre dans une atroce agonie tout en déclamant dans un français parfait un texte admirable que l’on aurait rêvé de percevoir plus distinctement. Le choix de Corinne Winters pour incarner Blanche a laissé songeur : pourquoi une voix si épaisse au débit si monocorde et au timbre si commun, pour faire ressentir la détresse de ce personnage angoissé qui jamais ne trouvera la paix ? L’instrument chaud et robuste d’Ekaterina Gubanova est en revanche idoine pour camper une Mère Marie volontaire et singulière jusque dans sa rousseur, comme celui d’Emöke Baráth parfaitement adapté à la touchante et naïve Sœur Constance, Ewa Vesin ayant tendance à recourir au cri pour satisfaire la tessiture escarpée de Mme Lidoine, le reste de la distribution chœur compris, n’appelant aucun reproche.

Piégé par la puissance rythmique et la scansion interne de l’œuvre avant-gardiste de Poulenc, Michele Mariotti dirige la partition comme une pile électrique avec un trop plein d’énergie souvent mal canalisé. Sa lecture pourtant précise et détaillée (belles échappées des cuivres, du piano et du cor anglais) manque parfois de souplesse et s’avère sur la durée trop sèche, à la différence de celle inégalée de Jean-Pierre Marty dans l’enregistrement légendaire de 1980 (INA Mémoire Vive/TCE 25 avril 1980).

François Lesueur

 

Francis Poulenc : Dialogues des Carmélites – Rome, Teatro del Opera, 4 décembre 2022
 
Photo © Fabrizio Sansoni - Teatro dell'Opera di Roma

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