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L’important est de jouer et de faire vivre la musique - Trois Questions à David Grimal, violoniste

Il est brillant, débordant d’énergie et de désir de se battre pour un monde meilleur. Il a déjà embelli le nôtre avec quelques CD mémorables chez Aparte (dont une ébouriffante 5e Symphonie de Beethoven), gravés grâce à l’accueil que lui réserve l’Opéra de Dijon. Il y donne des concerts qui respirent la joie de jouer. Que ce soit avec sa bande des Dissonances, orchestre à géométrie variable dont il n’est pas le chef mais le meneur, car il déteste diriger, dans ses concerts en soliste ou en chambriste, avec le Quatuor Raphael ou son complice Brice Pauset - ils viennent de se livrer au jeu de l’abstraction sur les traces de Paul Klee à la Cité de la Musique -, David Grimal ne connaît ni la pause, ni la pose. Le tout jeune père a délaissé l’archet quelques jours, mais le revoici reparti, encore un peu étourdi, vers son habituelle résidence de Dijon, entre autres tourbillons.

Que retirez vous de votre résidence là-bas ?

David GRIMAL : D’abord une merveilleuse qualité d’écoute, de la part de Laurent Joyeux, directeur de l’Opéra, et la liberté de faire des enregistrements, des ateliers dans des classes, des répétitions publiques, des concerts qui s’intègrent dans les cycles proposés par l’Opéra de Dijon et vont se poursuivre les années suivantes sur des œuvres de Brahms, Schnittke, Bernstein, Chostakovitch. De manière générale, mes préférences vont à la musique germanique, avec une prédilection totale pour Beethoven, dont nous poursuivrons l’exploration de l’œuvre avec la 2e Symphonie et la « Pastorale ». Là-bas, nous pratiquons la musique comme nous l’aimons, dans l’ouverture. Je repousse les querelles doctrinaires qui ont fait beaucoup de bruit ces dernières décennies, même si j’admire le travail précieux des Kuijken, de Gustav Leonhardt ou de Jos van Immerseel. Pour ma part, je ne prétends pas apporter une vision nouvelle à un concerto, par exemple, l’important est pour moi de le jouer, et de le faire vivre.

Qu’est ce qui vous dérange dans le mode de fonctionnement du concert traditionnel ?

D. G. : Tout : ce n’est pas dans cette façon de se cantonner aux grandes salles, de se plier aux diktats des institutions et leurs cahiers des charges, d’être soumis à des producteurs qui le plus souvent ne connaissent rien à la musique, que l’on peut jouer de façon vivante et productive. Pour ma part, j’adore bien sûr arriver avec mon violon (un Stradivarius prêté par un fond suisse privé, ndlr) et jouer un beau concerto avec un grand orchestre et un grand chef. Mais cela me laisse souvent sur une note d’insatisfaction, car on répète si peu, on ne va jamais jusqu’au bout des choses, et le chef s’en va vers d’autres destinations prestigieuses avant qu’on l’ait vraiment rencontré. Sur ce plan, j’ai une admiration éperdue pour Mariss Jansons : il a failli mourir plusieurs fois, mais il donne tout à ses deux orchestres, en restreignant ses prestations dans le monde pour mieux se consacrer à un travail suivi. Il nous faut entrer en résistance contre les hiérarchies sclérosantes, sinon comment laisserons-nous un sillon qui soit autre que celui d’instants très beaux certes, mais anecdotiques ?

Vous êtes un musicien engagé ?

D.G. : Le plus possible, avec des concerts donnés au profit des sans-abri, notamment pour l’association Les Margéniaux. Mais je n’ai pas de rapports directs avec eux, je n’en ai pas le temps. Je crois en la musique comme une façon emblématique de ce qui peut nous souder et nous faire progresser, et l’épanouissement individuel ne peut passer pour moi que dans l’engagement collectif, même si j’ai vu de près les méfaits du communisme lorsque je suis allé en Union Soviétique, avant sa chute. Je reste fidèle à l’idéalisme d’un Victor Hugo, pour moi le pendant de Beethoven : tous deux croyaient en l’Homme.

Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 3 février 2012

Prochains concerts à Dijon :
Le 10 février, avec les Dissonances, Beethoven et création des deux Canons de Brice Pauset, (concert repris le 24 février à la Cité de la Musique)
Le 7 avril, Six Sonates de Bach, avec Brice Pauset au clavecin.
Le 11 mai, Mozart et Strauss, avec les Dissonances

Enregistrements parus chez Aparte, avec Les Dissonances :
Beethoven : Concerto pour violon et 7e Symphonie
Vivaldi-Piazzolla : Les Quatre Saisons
Beethoven : 5e Symphonie

(Les bénéfices de la vente de ces deux derniers disques sont versés à l’association Les Margéniaux)

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Photo : DR
 

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