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L’Italienne à Alger au Metropolitan Opera - « Cruda sorte ! » - Compte-rendu

Lorsqu'elle fut présentée pour la première fois en 1973 par Jean-Pierre Ponnelle, cette Italiana in Algeri avait les traits et la voix de l'étourdissante Marilyn Horne. Le succès fut immédiat et la cantatrice, qui promena ce rôle majeur un peu partout en Europe, de Milan à Hambourg, allait triompher à 37 reprises dans cette production au Met jusqu'en 1986 (fort heureusement filmée et éditée par DG), avant de tirer sa révérence à la scène, toujours dans le rôle d’Isabella, à Londres en 1993.
 
Que reste-t-il de ce spectacle plus de quarante après sa création ? Son décor unique de harem, ses eunuques aux ventres rebondis, ses femmes voilées, ses jolis éclairages et quelques gags bien émoussés qui prêtent plus à sourire qu'à rire. Tout repose donc désormais sur la qualité d’interprètes susceptibles de soulever encore l'enthousiasme. Le Met a fait appel à la sicilienne Marianna Pizzolato dont ce sont les débuts in loco. Accompagnée avec une ineffable subtilité par James Levine qui fait sonner « son » orchestre avec une précision d'orfèvre, une extrême délicatesse et un humour redoutable, la mezzo-soprano aurait dû  – pu ! – donner le meilleur d'elle-même. Il n'en a pourtant rien été : prudente dans la moindre ornementation, avare d'aigu, sa voix plate et uniforme, sans éclat ni brio n'est à aucun moment celle que l'on attend dans ce rôle pétillant de maîtresse femme. Si encore elle avait de l'abattage, du charme ou simplement de la présence, notre déception serait moins forte, mais au contraire sa prestation soporifique donne envie de quitter la salle. Truculente, inspirée, oversize, la Horne n'a décidément aucune héritière !

Dwayne Croft (Haly) & Ildar Abdrazakov (Mustafa) © Ken Howard / Metropolitan Opera

La basse russe Ildar Abdrazakov sait heureusement donner de sa personne, chanter avec un certain aplomb et faire rire le public. Déjà présent en 2004 face à Olga Borodina, il campe une excellent Mustafa avec ses excès, ses maladresses et son indispensable bouffonnerie, même si les vocalises n'ont pas la perfection de celles d'un Samuel Ramey : son numéro au sortir du bain est une réussite. A ses côtés, on retrouve Dwayne Croft en Haly, Nicola Alaimo incorrigible Taddeo, Ying Fang adorable Elvira et Rihab Chaieb (Zulma), sans oublier en Lindoro, René Barbera pour ses débuts au Met, qui, sans être un ténor inoubliable vient à bout de ses deux airs, Juan Diego Flórez ayant imposé depuis son passage sur cette scène en 2004 l'aria alternatif « Concedi amor pietoso » au second acte, dans lequel ses successeurs s'essaient désormais.

Chef adulé, et pour cause, du public new-yorkais, James Levine dirige Rossini avec passion et intelligence laissant respirer la partition avec l'adresse des anciens et la douceur des connaisseurs, menant sa phalange là où il veut, comme il veut, d'une baguette malicieuse et – on le devine – le sourire aux lèvres. Le savoir en fosse méritait le voyage.
 
François Lesueur

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Rossini : L’Italienne à Alger – New York, Metropolitan Opera, 22 octobre 2016 / http://www.metopera.org/Season/2016-17-Season/italiana-in-algeri-rossini...
 
Photo © Ken Howard / Metropolitan Opera

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