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Lyon - Compte-rendu : Trois sept as : Dame de Pique à Lyon

Fin de cycle. Pour l’heure celui que Peter Stein dédia, dans le cadre noir de l’Opéra de Lyon, à Tchaïkovski. : commencé par une rareté, du moins hors de Russie, Mazeppa, poursuivi par Onéguine, terminé en Dame de Pique. Le style illustratif- mais un peu plus - de Stein n’a pas été, au fond, le révélateur qu’on espérait. C’est une baguette, stylée, certes, mais surtout narrative comme on ne l’est plus dans les opéras de Tchaïkovski depuis l’époque des Samosssoud ou des Niebolssine, qui aura marqué l’entreprise : celle de Kirill Petrenko, bien que pour cette dernière étape une certaine fièvre, celle du tapis vert, justement celle d’Hermann, manquait.

Ce fut aussi la révélation d’un grand baryton, Wojtek Drabowicz, dont l’instrument semblait idéalement apparié aux héros pouchkiniens. A vrai dire et tout polonais qu’il fût, on n’avait plus entendu une telle science du chant russe depuis les Batourine et autre Ivanov. Son Mazeppa, son Onéguine demeuraient dans toutes les mémoires durant cette Dame de Pique, et la mort qui l’a emporté au printemps de l’année dernière nous aura donc privés de son Eletski. Andrey Breus, qui eut la redoutable tâche de reprendre son rôle n’aura pas démérité, timbre mordant, belle noblesse de la ligne, tenue scénique parfaite, mais le legato, le velours très sostenuto et plein de sous-entendus de Drabowicz lui manquaient cruellement. Comparaison vaine, comme les regrets.

Stein est resté un rien en retrait de la folie qui est le vrai ressort de Dame de Pique, et dans la fosse, Petrenko toujours aussi attentif au propos du metteur en scène, lui a emboîté le pas. A leur décharge les longs temps morts exigés par les changements de décors entre les tableaux, qui imposaient au rythme haletant voulu par Tchaïkovski des césures malheureuses. Pour se dédouaner le metteur en scène chercha à incarner les visions d’Hermann, mais le surnaturel confit en réalité risque le ridicule, autant lorsque la Comtesse est portée dans la chambre de l’officier sur son catafalque que lorsque son squelette tombe du plafond, ou lorsqu’elle apparaît dans la maison de jeu. Ecueil hélas prévisible mais que le régisseur a eu le courage de ne pas esquiver.

Ceci posé, Stein lit en finesse : sa direction d’acteur pèse parfois un peu par des gestes et des attitudes datées, ainsi tout le jeu d’Hermann paraît inutilement surligné, mais quantité de détails bienvenus affleurent, qui indiquent une lecture profonde du livret et une écoute attentive des notes. La principale vertu de ce spectacle était double : ne jamais trahir Pouchkine – on pouvait craindre ici la même dérive que pour Onéguine, où Stein s’était en quelque sorte laissé « tchékovskiser » - et s’inscrire toujours dans la musique de Tchaïkovski. Mais pourquoi avoir privé le deuxième acte de La Bergère sincère, où le compositeur rend hommage à Mozart dans un pastiche inspiré ?

Le geste paraissait souvent trop posé dans cette histoire dont deux monstres – Hermann et la Comtesse – tirent les ficelles. Il y faut plus de fièvre, plus d’intensité. Le plateau souffrait d’une scorie majeure : Victor Lutsiuk, en voix friable, détimbra les trois quarts de son Hermann, et une Dame de Pique sans Hermann risque l’improbabilité. Mais l’équipe formidable assemblée par Serge Dorny emportait la mise : Putilin en Tomski, Sadnik pour Tchékalinsky, Jerkunica campant une formidable silhouette en Sourine, Tarasova qui ne surchargeait rien de sa Comtesse mais en délivrait un portrait au réalisme fulgurant, tous donnaient vie et sens à cette fantasmagorie. Lyon fêtait à nouveau la Lisa d’Olga Guryakova, idéale de jeunesse et de pathétisme naturel, qui avait été la révélation de la mise en scène in loco de Petrika Ionesco voici cinq ans. Aussi fine chanteuse soit-elle, la tessiture meurtrière de la scène de la Neva l’éprouva tout de même. Mais le vrai miracle de la soirée fut encore une fois la présence radieuse d’Elena Maximova : on croit encore entendre la romance de Pauline... Cette mezzo-soprano est l’une des toutes grandes chanteuses russes d’aujourd’hui et l’on voudrait avoir la chance des Munichois qui ont déjà applaudi sa Carmen.

Jean-Charles Hoffelé

Piotr Ilitch Tchaikovski, La Dame de Pique, Opéra de Lyon, le 26 janvier, puis les 28 et 30 janvier, les 1er, 3 et 5 février 2008.

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Photo : Opéra de Lyon/DR
 

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