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Maria Republica de François Paris en création à l’Opéra de Nantes - Une réussite lyrique forte et brûlante - Compte-rendu
Avec Maria Republica, François Paris (né en 1961) réalise un désir d’opéra vieux d’un quart de siècle. C’est en 1991 en effet que le compositeur, encore étudiant au Conservatoire de Paris, rencontre Augustin Gómez-Arcos et lui annonce son intention d’écrire un opéra d’après son roman. Entre-temps, l’écrivain est décédé (en 1998) mais, grâce à la politique artistique audacieuse et ambitieuse menée par Jean-Paul Davois à la tête d’Angers Nantes Opéra, ce projet voit aujourd’hui le jour sur la scène du Théâtre Graslin de Nantes.
© Jeff Rabillon pour Angers Nantes Opéra
Une prostituée, repentie par la force des choses (une loi vient d’interdire les maisons closes), entre au couvent, poussée par sa tante, partisane de l’ordre franquiste. Loin d’accepter ce travail de « régénération », Maria Republica, fille de « rouges » exécutés par le régime fera de ce lieu celui de sa vengeance. Le sujet de Maria Republica relèverait de la fresque historique (l’Espagne du franquisme) et du roman social, s’il n’y avait cette part onirique que le livret remarquablement concis de Jean-Claude Fall restitue parfaitement. Cette atmosphère de rêve – ou plus souvent de cauchemar fantastique post-gothique – habite tout uniment la mise en scène et la musique.
© Jeff Rabillon pour Angers Nantes Opéra
L’œuvre est sombre et le décor le restera tout au long des deux heures que dure l’opéra. Pourtant, de ce couvent-prison, Gilles Rico, le metteur en scène, et son équipe (le scénographe Bruno de Lavenère, Bertrand Couderc aux lumières) font un labyrinthe constamment mouvant et troué de transparences : on ne sait plus qui enferment ces grilles à travers lesquelles Maria, à son arrivée, est épiée mais qui ne suffisent bientôt plus à contenir sa furie. Quant aux costumes de Violaine Thel, entre archétypes et subtils débordements d’imagination (la tiare de la Révérende Mère !), ils contribuent grandement à l’ambivalence réaliste et symbolique de l’œuvre.
Musicalement, Maria Republica est d’une force extraordinaire. Alors que les compositeurs, confrontés à l’opéra, peuvent parfois devenir assez timorés, François Paris ne renie rien de son langage. Dès le prologue instrumental, il impose son écriture miroitante, appuyée sur les micro-intervalles, toujours prête à se tendre pour les besoins du drame. C’est une musique extrêmement colorée – mais toujours par touches fines – qui accueille les personnages, donnant une voix soliste successivement à la harpe, au glockenspiel, au violoncelle… De l’extrême cohésion formelle et esthétique de l’écriture de François Paris, on trouve une trace dans l’utilisation de l’électronique, qui vient scander l’espace-temps créé par les dix tableaux qui constituent l’ouvrage. D’abord résolument bruitistes, les interventions électroniques se coulent de plus en plus dans la continuité de l’orchestration : elles sont un peu la métaphore sonore de l’acceptation apparente par Maria de sa nouvelle condition ; elles infiltrent en fait peu à peu tout l’édifice.
Daniel Kawka © Christian Ganet
De même, l’écriture vocale se fait au fil des scènes de plus en plus lyriques, quittant la prosodie un peu brutale du début. Maria prend des airs de Mélisande quand elle s’adresse à son frère, puis peu à peu, le registre s’élargit et le chant se fait de plus en plus modulé. S’emparant de ce rôle magnifique, la soprano étatsunienne Sophia Burgos est une véritable révélation, que l’on brûle de réentendre. François Paris introduit aussi, à travers le rôle des Sœurs, compagnes de couvent de Maria, une écriture chorale, comme un trait de lumière froide dans l’univers de la brûlante héroïne.
Il faut souligner le travail exceptionnel de préparation des chanteurs mené par Rachid Safir, directeur artistique de l’ensemble Solistes XXI, auquel participent Marie Albert, Céline Boucard et Raphaële Kennedy (qui tiennent ici respectivement les rôles de Rosa, de la Sœur Commissaire et de la Sœur Gardienne). Il convient d’y associer les autres solistes (Noa Frenkel dans le rôle de la Révérende Mère, difficile car chanté en demi-teinte, proche du parlé, Els Janssens Vanmunster et Benoit-Joseph Meier) qui par le tissu serré de leurs voix complémentaires permettent à la tension dramatique de s’exprimer.
Danse la fosse, Daniel Kawka, à la tête de son Ensemble Orchestral Contemporain, fait éclater avec clarté et précision la musique irradiante de François Paris. Il est pour beaucoup dans la révélation de cette œuvre magistrale.
Jean-Guillaume Lebrun
François Paris : Maria Republica (création) - Nantes, Théâtre Graslin, 19 avril 2016 ; prochaines représentations le 24 avril (14h30), les mardi 26 et jeudi 28 avril à 20h.
www.angers-nantes-opera.com
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