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Maria Stuarda de Donizetti à Avignon – Patrizia di Scozia – Compte-rendu

I Due Foscari à Marseille, Zelmira à Lyon, Maria Stuarda à Avignon, les versions concertantes ne se sont jamais si bien portées : faut-il y voir le signe avant-coureur de ce qui nous tiendra bientôt lieu d’ordinaire face aux coûts des spectacles d’opéras et des budgets de plus en plus contraints des principaux théâtres ? La question reste entière.
Moins risquées, moins onéreuses, ces productions françaises proposent quoiqu’il en soit de prestigieuses distributions qui peuvent rivaliser avec les plus grands plateaux internationaux. Avignon a visé juste en invitant la fine fleur du chant et un chef aguerri au répertoire belcantiste, car la Maria Stuarda de Donizetti ne supporte pas l’entre-deux.
 
Le retour de Patrizia Ciofi sur la scène avignonnaise après une inoubliable Traviata en 2012, était très attendu. La soprano dont on connait les affinités avec les grandes héroïnes aux destinées tragiques, reines déchues, folles suicidaires ou dévoyées maladives et l’inclination pour le bel canto romantique, retrouve pour la troisième fois après Liège et Athènes la fameuse Reine d’Ecosse, l’intrigante captive de Fortheringay, décapitée sur ordre de sa rivale et parente, Elisabeth d’Angleterre.
Magnifié par la musique de Donizetti, ce rôle délicat qui mêle tout ensemble passages de bravoure et pages élégiaques, requiert une voix typée, une grande vélocité et une sensibilité sans lesquelles il n’est pas de Stuarda mémorable. Avec une ligne de chant toujours stable parée d’une mélancolique douceur, le personnage brossé par la Ciofi traduit toute son ambiguïté : fragile dans son vaporeux air d’entrée « O nube che lieve » et sa cabalette vindicative, elle ne couve qu’en apparence ce brasier qui la consume, signant son arrêt de mort en crachant au visage d’Elisabeth, venue à contre cœur lui rendre visite, des insanités (ah ce venimeux « Figlia impura di Bolena », ce « Meretrice indegna, oscena » (1) lancé comme un comme coup de poignard, à la surprise générale. Dans une remarquable forme vocale, la Ciofi s’enflamme donc avec véhémence, tout en sachant s’apaiser pendant le grand duo du 2 « Lascia contenta al carcere »  soutenu par un phrasé poétiquement orné, puis dans une frémissante prière «Deh ! tu di un’umile preghiera » où son art de la déclamation et son chant mouillé de larmes ont atteint des sommets, avant de monter en martyr vers l’échafaud et de quitter ce monde dans un dernier effort, couronné comme il se doit par un solide contre-ré.

Face à cet artiste qui n’en a pas finit pas de nous surprendre, Karine Deshayes est le second trophée du jour : dans le rôle d’Elisabetta qui semble avoir été écrit pour elle, la Française s’est montrée ardente et impétueuse, virtuose dotée d’un instrument qui ne connaît ni contrainte, ni limite, d’une profondeur et d’une densité que nous n’imaginions pas. La voie donizettienne et le répertoire seria lui semblent tout tracés.

Le ténor espagnol Ismaël Jordi poursuit son irrésistible ascension avec un Leicester scrupuleusement chanté, des accents d’une réelle sincérité et des nuances qui font tout le prix de sa prestation débutée non sans quelques marques de trac, vite dissipées. Imperturbable et souverain dans le rôle de Talbot, on retrouve avec plaisir la voix sûre et bien posée de Michele Pertusi, tandis que le baryton Yann Toussaint s’avère un impeccable Cecil et Ludivine Gombert une honnête Anna.
Le chef Luciano Acocella enfin, obtient de l’Orchestre Régional Avignon-Provence un discours musical d’une discipline et d’une puissance expressive étonnantes, qui bénéficie également au chœur magnifiquement préparé par Aurore Marchand.
Dernière date le 27 janvier : courez-y, il reste encore des places !
 
François Lesueur

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(1) « Catin indigne et obscène ! »
 
Donizetti : Maria Stuarda (version de concert) – Avignon, Opéra-Théâtre, 24 janvier, prochaine représentation le 27 janvier 2016 / operagrandavignon.fr/spectacles/maria-stuarda

 
Photo © Jean-Pierre Maurin

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