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Maria Stuarda de Donizetti selon Mariame Clément au Grand Théâtre de Genève - Reines de cœur – Compte-rendu

 

Fascinée par le destin de la Reine Vierge, Mariame Clément poursuit à Genève, après l’Anna Bolena de la saison passée, l’exploration de la trilogie Tudor. Sa Maria Stuarda débute par la réminiscence de la décapitation d’Ann Boleyn, mère d’Elisabeth, un souvenir traumatique auquel assiste la reine enfant. Une seconde figurante jouera la reine au masque de céruse. La cour anglicane, austère, reçoit la touche Renaissance de rigueur dans les seyants costumes de Julia Hansen. Mariame Clément teinte également sa vision de touches de modernité. À l’avant-scène, un téléphone est disposé sur le bureau, réminiscence de la série The Crown. Deux cameramen filment le supplice d’une reine d’Ecosse qui maîtrise sa communication et achève sa vie en martyre, immaculée, de la politique. L’ensemble se joue dans un décor sombre, imposant, où la forêt est omniprésente, tantôt printanière, tantôt automnale sous les éclairages très réussis de Ulrik Gald. On pense plus d’une fois aux réalisations de la plasticienne suisse Heidi Bucher.

© Monika Rittershaus
 
Durant le duo d’Elisabetta avec Lord Cecil (« La perfida insultarmi »), où lui sont rappelés ses devoirs, le conseiller retors endosse les habits d’Henri VIII, ogre sensuel comme sa fille tenant Leicester sous son emprise et réclamant (trop) souvent la main du favori dans sa culotte. Elsa Dreisig, vêtue comme une Diane armée, porte le cheveu court et roux. La voix est fine, argentée, sûre de son élocution comme de sa virtuosité, imposant une reine jalouse et profondément humaine dès son « Ah ! quando all’ara scorgemi ».
 

© Monika Rittershaus
 
C’est pour elle une prise de rôle, comme pour tous les chanteurs à l’exception de Nicola Ulivieri. On attendait évidemment la Maria Stuarda de Stéphanie d’Oustrac. Ses talents de tragédienne, l’ardeur et l’intelligence de sa composition font oublier les petites approximations de l’entrée en scène. Mais chanter allongée n’est peut-être pas très confort. Ses capacités et sa présence fulgurante culminent au final du premier acte. Reste que le bel canto lui pose des problèmes de souffle. La célèbre prière précédant son supplice, avec sa note infiniment tenue, où Caballé et Gencer ont laissé des souvenirs inoubliables, tout comme Joyce Di Donato récemment, laisse dubitatif. La portée est courte et les micro-respirations aventureuses. La faute sans doute à la direction très effilochée d’Andrea Sanguineti. Remplaçant in extremis Stefano Montanari, le chef italien se place dans une optique historiquement informée (avec pianoforte) mais sans grande attention à la précision et aux dynamiques. En Leicester, ici faible et alcoolique, l’Uruguayen Edgardo Rocha confirme son ténor léger et ardent, bien posé, sans imprécisions, et qui gagnerait à déployer plus de mordant.
 
Dans leurs rôles d’attachés de presse courtisans, les conseillers Cecil et Talbot sont visuellement interchangeables, de sorte que l’on retient surtout la basse ronde de Nicola Ulivieri, il est vrai plus présent en scène que Simone del Savio. La très jolie surprise est l’Anna de la Croate Ena Pongrac à qui les premiers rôles belcantistes devraient vite échoir. Quant aux chœurs du Grand Théâtre et aux pupitres de l’OSR, ils brillent toujours par leur professionnalisme et leur musicalité.
 
Vincent Borel

 

 Donizetti : Maria Stuarda – Genève, Grand Théâtre, 17 décembre ; prochaines représentations les 19, 21, 23, 26 & 29 décembre 2022 // bit.ly/3PEXD3W
 
Photo © Monika Rittershaus

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