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« Métamorphoses » à La Belle Saison (Cherbourg/14 mai) – Alpha et oméga straussiens

 
Le théâtre de Coulommiers, un édifice des toutes premières années du XXe siècle doté d’une très belle acoustique, compte parmi les lieux fondateurs de La Belle Saison. C’est là qu’en janvier dernier nous avons rencontré Antoine Manceau pour le 10anniversaire de la saison de musique de chambre itinérante dont il assure la direction artistique depuis l’origine – l’occasion d’un point complet sur cette première décennie d’existence et les perspectives d’avenir de l’entreprise.(1) Là aussi que, deux mois plus tôt, s’était achevée une résidence au terme de laquelle une équipe de jeunes musiciens a enregistré, en live pour le label B. Records (2), un original programme réunissant des pièces situées aux extrémités de la carrière de Richard Strauss (1864-1949) : le rarissime Quatuor avec piano op. 13 (1885) et les célèbres et tardives Métamorphoses (1945), dans leur version primitive pour septuor à cordes. Aussi magnifiquement défendus que captés, ces deux ouvrages formaient le programme que les mêmes instrumentistes ont repris le 22 avril lors d’une soirée parisienne de La Belle Saison aux Bouffes du Nord.
 

Le Trio Arnold –  Shuichi Okada, Manuel Vioque Judde, Bumjun Kim – et Nathanaël Gouin (photo) sont à l’œuvre dans le Quatuor op. 13, vaste réalisation en quatre volets d’une quarantaine de minutes. Pas un chef-d’œuvre encore, mais, puisque nous connaissons la suite l’histoire, il est néanmoins passionnant d’y observer un Strauss de 20 ans – nourri de l’exemple de ses devanciers, à commencer par Brahms – en train de chercher, de se chercher, d’expérimenter. Avec un engagement total, les interprètes s’attachent à souligner le sens des timbres d’un musicien qui s’illustrera bientôt dans de domaine du poème symphonique. Un qualificatif qui vaut pleinement pour une composition profuse, avec une partie de clavier redoutable, au cours de laquelle les quatre protagonistes déjouent le piège de l’opacité dont la pièce pourrait aisément souffrir confiée à des exécutants moins talentueux et attentifs.
 

© Thimothée George 
 
1885-1945 : six décennies se sont écoulées et, dans une Allemagne en ruines, Strauss compose ses Métamorphoses. On a coutume d’entendre l’ouvrage interprété par un ensemble de 23 cordes. Le Trio Arnold, Manon Galy, Grégoire Vecchioni, Aurélien Pascal et Laurène Helstroffer Durantel se lancent pour leur part dans la version pour septuor, la mouture première de la pièce en fait (découverte au mitan des années 90 et éditée par Rudolf Leopold), et renouvellent de fond en comble la perception de cette musique. La gravité reste certes de mise mais tant la nature de l’effectif, que l’esprit dans lequel les jeunes interprètes abordent la partition font la différence. La vigueur et l’équilibre souverain avec lesquels s’ils s’emparent de cette « étude de contrepoint », comme la définissait D. Jameux, en éclairent le déploiement et les équilibres internes de manière incroyablement stimulante. « Requiem pour Munich » ? Certes, mais une lueur d’espoir demeure. On songe au premier vers de La Musique d’Akhmatova : « Elle a en elle un miracle qui brûle »  ...
Magnifique soirée et heureux mélomanes cherbourgeois qui, après Coulommiers et Paris, vont pouvoir savourer ce programme straussien lors d’une halte de La Belle Saison au Trident le 14 mai. À ne surtout pas manquer !

Alain Cochard
 

(1) www.concertclassic.com/article/la-belle-saison-des-projets-dartistes-pour-un-projet-davenir

(2) 1 CD B. Records / La Belle Saison Live LBM 060
 
Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, 22 avril ; reprise du programme le 14 mai 2024 (20h30) à Cherbourg (Le Trident / Scène nationale) / / la-belle-saison.com/saison-23-24-93dd510f/metamorphoses
 
Voir les prochains concerts "Richard Strauss" en France

Photo © Thimothée George

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