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Nouvelle génération baroque ; interview de Iakovos Pappas

Personnalité originale du monde baroque, Iakovos Pappas, claveciniste et directeur de l’Ensemble Almasis, est un artiste dont les interprétations sortent des sentiers battus… Entier, généreux, prolixe dans son verbe, révolutionnaire plus que perturbateur (quoique… mais toujours avec talent !), il est à lui seul l’illustration de la figure baroque incarnée. Un musicien de la fin du XVIIe ou du XVIIIe siècle projeté dans notre temps, avec sa verve profane puisée dans les tavernes théâtrales des œuvres qu’il met en scène, mais aussi avec ses élans sacrés, profondément fervents… Maintes fois, il a prouvé au disque que ces deux facettes de la musique étaient à mettre en regard, afin que le mot « Art » prenne toute sa signification. Aujourd’hui, on le retrouve dans une saison au Théâtre du Tambour Royal, pour un « Dévergondage baroque » peu ordinaire. Voilà l’occasion d’une rencontre !

Concertclassic.com : D’où vous est venue l’idée de créer une saison baroque au Théâtre du Tambour Royal ?

Iakovos Pappas : En fait, j’ai réalisé qu’il n’y avait pas de saison « exclusivement baroque » à Paris. Il y a des événements, certes, de petites séries de concerts, mais pas de production spécifiquement réservée à ce répertoire, surtout sur une longue durée. Notre édition s’articulera ainsi autour de récitals, doublés à intervalles de quinze jours, mais il y aura aussi des concerts de plus d’envergure, scéniques, tantôt seulement lyriques, tantôt faisant intervenir des récitants et comédiens. De vrais petits opéras ou cantates montés sur les planches !

Concertclassic.com : Pourquoi avoir choisi ce lieu, le Théâtre du Tambour Royal ?

Iakovos Pappas : Dans cette capitale, il est en réalité difficile de dénicher une salle ni trop petite ni trop grande, tout en ayant une bonne acoustique. Pour cela, ce théâtre semblait idéal. En effet, le côté intimiste du lieu me paraît prédisposer le spectateur à ce genre de concert.
D’autre part, c’était le rêve de la directrice de production, Marthe Michel, que d’organiser une saison baroque, puisque c’est là l’un de ses répertoires favoris.

Concertclassic.com : Le répertoire baroque est vaste, que pensez vous proposer à travers ces représentations ?

Iakovos Pappas : L’idée première est de mélanger le répertoire connu, comme du Rameau, du Vivaldi ou du Haendel, avec des musiques tout aussi géniales de compositeurs méconnus du grand public. Je pense là à Dandrieu, Clérambault, Geminianni ou Tuma, mais encore à bien d’autres, les archives et ma bibliothèque sont loin d’être épuisées !
De plus, il ne faut pas oublier que l’Ensemble Almasis s’est fixé pour but premier la défense et l’illustration de la musique baroque française…. Donc, les compositeurs de l’hexagone ne seront pas en reste ! En outre, je crois que ce répertoire en particulier en a bien besoin, car il me semble délaissé des scènes de notre pays.

Concertclassic.com : C’est-à-dire ?

Iakovos Pappas : Il y a, selon mon opinion, deux tendances bien distinctes en ce qui concerne l’interprétation de la musique baroque. La première (hélas la plus répandue), considère que nous sommes devant un objet de musée, inanimé, qui peut être disséqué, étudié, et remis à nouveau dans son bocal de formol, le tout bien sûr, avec cette fois une belle étiquette. La seconde, et celle que je tente de suivre avec mes musiciens, estime que cette musique est plus que jamais d’actualité, et qu’il faut la faire revivre, mais à notre époque cette fois… Car il est vrai que le corps fut pendant longtemps enseveli… Je juge que mon travail consiste à lui insuffler une deuxième vie.

Concertclassic.com : question brûlante et d’actualité : que pensez-vous des quêtes d’authenticité que mènent beaucoup de vos collègues ?

Iakovos Pappas : La quête d’authenticité qui consisterait à vouloir à tout prix imaginer un concert de musique baroque avec des œuvres interprétées comme le compositeur les jouait lui-même, et dans les même circonstances de leur création est à mon avis une entreprise ridicule. Cela étant dit, ceci n’autorise pas pour autant les pseudos réactualisations de fortune, qui masquent souvent un manque de science et de talent, ces « Deus ex Machina » qui se vantent d’intégrer à la scène un design contemporain, ou qui cherchent à leurrer le public par des reconstitutions plus démonstratives que musicales… Mon idée de l’interprétation est très simple. Si j’utilise des instruments ou des techniques instrumentales et vocales, les mêmes que celles utilisées aussi par un Rameau ou un autre, ce n’est point par soucis de cette trompeuse authenticité, mais parce que ce sont les seuls moyens adéquats pour répondre aux exigences de cette musique. Des instruments plus récents m’auraient sinon tenté, si je n’avais jugé que ces principes sont les seuls à rendre compte du relief des œuvres que j’interprète.

Concertclassic.com : Et fort de ces idées, d’après vous, quelle est la place que doit occuper la musique baroque dans notre siècle ?

Iakovos Pappas : Je crois que c’est un antidote à un monde de plus en plus standardisé, mécanisé, aseptisé…. Il me semble que je fais le même travail que tous ces gens qui cherchent à manger autrement que dans les fast-food.
Le pire ennemi de la musique baroque est le bâillement du public, je ne le redirai que trop Mon but est donc de garder l’auditeur en éveil, de l’inciter à aimer cette musique non parce qu’elle se pique d’être à la mode, mais parce qu’elle recèle des merveilles artistiques. Après le temps des premières redécouvertes, des tâtonnements plus ou moins fructueux, je crois qu’il est maintenant temps d’aborder ce répertoire avec un peu plus de maturité, car elle seule peut lui garantir une longévité.

Interview réalisée par Coralie Welcomme.

Dates de représentations : 19/01, 02/02, 23/02, 04/03 et d’autres dates en prévision jusqu’en Juin 2004. Théâtre du Tambour Royal : 94, rue du Faubourg du temple, passage Pivert, 11e. Renseignements : 01 48 06 72 34.

Photo : DR
 

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