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Orpha Phelan met en scène les Hauts de Hurlevent de Bernard Herrmann à l’Opéra national de Lorraine (interview) – « Pour honorer cette œuvre, il faut regarder la musique »
Psychose, Vertigo, La Mort aux trousses, Citizen Kane, Taxi Driver, etc. : le nom de Bernard Herrmann (1911- 1975) est indissociable du cinéma, en particulier pour sa légendaire collaboration avec Alfred Hitchcock, mais on doit aussi au musicien américain un opéra, Les Hauts de Hurlevent, inspiré du roman d’Emily Brontë. Composé entre 1943 et 1951 – un peu avant la rencontre décisive avec Hitchcock en 1955 donc –, l’ouvrage demeure extrêmement méconnu. En 2010, René Koering en avait programmé une exécution en version de concert au Festival de Radio France à Montpellier, sous la baguette d’Alain Altinoglu (1), mais il attend toujours sa création scénique française.
Elle arrive enfin, grâce à l’Opéra national de Lorraine qui en a confié la régie à Orpha Phelan (photo). Concertclassic a interrogé l’artiste irlandaise à l’approche de le première d’un spectacle à l’affiche de la scène nancéenne pour cinq représentations, du 2 au 12 mai, sous la direction de Jacques Lacombe, avec Layla Claire et John Chest dans les rôles de Catherine Earnshaw et Heathcliff.
Met-on en scène les Hauts de Hurlevent comme on le ferait avec un autre opéra ?
Orpha PHELAN : Non ! Cela représente un challenge énorme. Qui plus est, sur un livret écrit par la première épouse du compositeur (Lucille Fletcher, ndlr) et tiré de l’un des plus célèbres romans de la littérature anglaise voire mondiale !
Ensuite, objectivement, l’œuvre n’est pas facile à monter. Le texte est long (Bernard Herrmann n’acceptait aucune coupure), l’action dramatique peu développée au profit d’une tension psychologique extrême. Il se dit des choses, mais ne se passe que peu de choses en réalité, voilà la difficulté. Il faut inventer une matière de théâtre, sans dénaturer l’histoire, en gardant cette tension palpable. Il y a notamment un ou deux passages qui peuvent réellement aboutir dans l’impasse, interlude de musique sans paroles, ou alors échanges apparemment bien banals. Comment s’en sortir ? J’ai choisi à deux reprises de montrer l’enfance, l’innocence et l’amitié si fortes mais si comptées qui liaient Cathy et Heathcliff ; une sorte de flashback en somme, qui explique peut-être et renforce sans doute l’extraordinaire tristesse de leur situation.
De plus, j’ai la chance de travailler avec une équipe (notamment Madeleine Boyd qui signe décors et costumes) que je salue et sans laquelle je n’aurais pu concrétiser ce projet.
Maquette des décors pour Les Hauts de Hurlevent © Madeleine Boyd
Vous parliez de « tension palpable ». La musique illustre toutes ces tensions et notamment celles entre les personnages ...
O.P. : La tension est l’histoire du roman. Elle vient du télescopage entre les milieux sociaux, mais pas seulement. Elle naît sournoisement de leur environnement, de la nature, du climat. Au lieu d’habiter les personnages, ce sont les sentiments qui les entourent, les piègent, comme des nuages menaçants, prêts à exploser. Cette tension terrible résonne dans tout l’opéra d’Herrmann, comme d’ailleurs dans le roman initial. La nature est chez Brontë est un élément envahissant, prégnant. L’environnement façonne, structure, influence les êtres.
L’an dernier, j’ai fait un voyage dans le nord de l’Angleterre qui m’a beaucoup aidé pour préparer cette mise en scène. Il faisait un temps terrible avec vent, neige, grand froid pour un mois de mars. Nous étions seuls dans une voiture au milieu de nulle part, aveuglés par la neige, dans un calme absolu, loin de toute civilisation… Nous nous sommes sentis si petits, si vulnérables, totalement perdus au milieu de cette nature déchaînée et dépeuplée.
Dans le roman, comme d’ailleurs dans la partition, à chaque page, un événement climatique est clairement mentionné, comme si la tempête naturelle créait elle-même la tempête intérieure des personnages. L’état de nature, l’état de culture, pureté sauvage et satanisme, voici l’histoire des Hurlevents. Même l’intérieur domestique surgit de la nature. D’où le choix des ondulations montagneuses du décor (en bois) et du paysage qui se déroule, tantôt calme, tantôt féroce. J’ai utilisé l’espace physique pour montrer et exposer les relations des personnages entre eux, et leur hiérarchie sociale.
Aucun des personnages n’est à sauver selon vous ?
O.P. : (Well…) On est souvent en empathie avec Cathy, mais quoi ? Cathy n’est ni gentille, ni innocente. Elle est égoïste, égocentrique, avec des côtés franchement cruels. Loin de tout manichéisme, c’est d’abord l’histoire d’un désastre absolu. Le couple ne se rencontre jamais à proprement parler, il n’est jamais vraiment ensemble… Même s’il faut être prudent avec ce genre de déclaration, je crois que cette approche du couple et de ses dysfonctionnements sont très ancrés dans une époque ; j’ose espérer que ce ne pourrait plus du tout s’avérer acceptable. Mais le plus important reste de raconter une histoire. Il ne s’agit ni de porter un jugement ou de transposer l’affaire sur la lune. Non, c’est une histoire cruelle. Mais une belle histoire, malgré tout.
Maquette des décors pour Les Hauts de Hurlevent © Madeleine Boyd
Aimez-vous le cinéma ; vous en êtes-vous inspirée pour concevoir votre direction scénique ?
O.P. : Bien sûr que j’aime le cinéma ! Bien sûr que non, je ne m’en suis surtout pas inspirée (rires). Je me suis interdit toute source potentielle d’influence. Je n’ai rien vu pour ne pas être contaminée malgré moi ! Mon devoir de metteur en scène est d’avoir une vision fraîche, vierge de toute lecture et d’interprétation. Rester concentrée sur l’histoire à raconter, sans images ou idées périphériques !
Mais alors, il reste à se pencher sur la musique, et même à la regarder ?
O.P. : Absolument. Pour honorer cette œuvre, il faut regarder la musique. Quand j’ai monté ma première comédie musicale il y a deux ans, j’étais absolument atterrée par la platitude du scénario ... Mais le projecteur était déplacé. Ce n’était pas plat du tout, mais ce n’était pas là qu’il fallait regarder. Il fallait puiser dans le genre même de la comédie musicale, dans ce qui fait sa spécificité formelle, ses numéros virtuoses qui se succèdent, possiblement arrêtés par les applaudissements… Il ne faut pas chercher à plaquer les recettes de l’opéra à la comédie musicale, ou celle du cinéma à l’opéra. Il faut être fier et assumer le genre que l’on doit honorer, jusqu’au bout.
Jacques Lacombe © DR
Comme se passe le travail avec l’équipe réunie à Nancy ?
O.P. : Travailler avec Jacques Lacombe est un bonheur. J’ai pu constater avec soulagement qu’il aimait les chanteurs, les danseurs, qu’il les aidait, les connaissait bien, les mettait à l’aise et toujours les valorisait. Jacques est un homme charmant, notre gentleman à tous, respecté par tous. C’est une immense chance de l’avoir. Avec lui, c’est facile !
Quant aux chanteurs, j’en connais une bonne partie ; j’ai eu l’occasion de les diriger séparément dans d’autres productions. En revanche, c’est la première fois que je dirige à la scène un couple marié à la ville ! Layla Claire qui joue Cathy est l’épouse de John Chest qui incarne Heathcliff. Après tout ce que je vous ai dit sur le couple inventé par Emily Brontë, … (rires) ; puisse cette passion impossible sur scène renforcer la leur à la ville.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Gaëlle Le Dantec, le 16 avril 2019
(1) L’enregistrement de ce concert est disponible chez Universal Music
B. Herrmann
Les Hauts de Hurlevent (création scénique française)
2, 5, 7, 9 & 12 mai 2019
Nancy – Opéra
www.opera-national-lorraine.fr/programme/les-hauts-de-hurlevent
Photo © DR
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