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Ouverture de la saison « Musique sacrée à Notre-Dame de Paris » - Chroniques et musiques au temps de saint Louis

Sylvain Dieudonné

Si la musique ne connaît guère de trêve estivale à Notre-Dame de Paris, l'offre musicale se poursuivant tout au long de l'été, la saison proprement dite se referme chaque année début juillet pour reprendre vers la mi-septembre. La saison 2016-2017 – pas moins de 37 rendez-vous jusqu'au 11 juillet, sans compter les fameuses « auditions d'orgue du dimanche », judicieusement déplacées au samedi soir (1) – a débuté le mardi 13 septembre avec, une fois n'est pas coutume, un programme de musique médiévale, sous la direction de Sylvain Dieudonné (photo), chef de chœur et responsable du département Chant grégorien et musique médiévale de la cathédrale. Ce concert d'ouverture fêtait et coïncidait avec la sortie, le même jour, d'un nouveau et remarquable CD, intensément poétique, du label Maîtrise Notre-Dame de Paris (2) offrant très exactement ce même programme : Saint Louis – Chroniques et musiques du XIIIe siècle.
 
Créé le 27 avril 2014 en la collégiale de la ville natale de Louis IX, Poissy (Yvelines), où il fut baptisé, dans le cadre des commémorations du huitième centenaire de sa naissance, le 25 avril 1214, ce programme retrace en musique – entre École de Notre-Dame (fin XIIe) et Ars nova (XIVe) – et par des textes d'époque la vie du roi. Deux parties : saint Louis roi de France – naissance et baptême, éducation, couronnement, mariage, vie à la cour ; de Paris à Jérusalem : culte des reliques, croisade d'Égypte, mort de saint Louis. Aux textes empruntés à la Vie de saint Louis de Jean de Joinville (v.1224-1317) et à l'ouvrage de même titre de Guillaume de Nangis (mort en 1300), aux Grandes chroniques de France (1375-1380) et à La vie et les miracles de saint Louis de Guillaume de Saint-Pathus (1250-1315), noblement et doucement déclamés en un vieux français chaleureux et plein de saveurs par Raphaël Boulay, répondent des pièces musicales d'une séduisante diversité.

L'Ensemble vocal Notre-Dame de Paris © DR

L'Ensemble vocal de Notre-Dame de Paris comptait pour l'occasion des instrumentistes qui sont les piliers de la formation, déjà entendus, par exemple, lors du lumineux Livre de Montserrat en février dernier (3) : Solène Riot à la flûte et au cornet, Bérengère Sardin à la harpe gothique, Raphaël Mas aux percussions, et naturellement Sylvain Dieudonné à la vièle à archet – la projection dans l'immense espace de ces instruments à la dynamique délicate mais d'une grande clarté tient pour ainsi du prodige. Côté voix (solistes et « chœur »), neuf chanteurs professionnels dont la formation s'est faite en partie au sein de la Maîtrise de la cathédrale, cadre aussi grandiose qu'il leur est familier : Julia Gaudin et Eugénie de Padirac, sopranos ; Anaïs Bertrand et l'indispensable Raphaël Mas, altos ; Raphaël Boulay, Damien Rivière et Martial Pauliat, ténors ; Emmanuel Bouquey et Christophe Gautier, basses – fidèle reflet de l'enregistrement.
 
Comme le plus souvent à Notre-Dame, les concerts de musique ancienne revêtent une dimension spatiale soigneusement méditée et pertinente. Ainsi les voix d'hommes firent-elles leur entrée (Introït – Litanies majeures) tout en remontant la nef, cependant que les pièces faisant appel aux premiers et seconds dessus s'accompagnaient d'une disposition des quatre chanteurs en un cercle, visages tournés vers l'intérieur, se positionnant symboliquement au côté de la célèbre Vierge à l'enfant de Notre-Dame de Paris, à l'entrée du chœur – hommage à la fervente dévotion mariale de saint Louis –, pour un maximum d'intimité et de fusion des timbres. Outre les voix et les instruments, seule différence d'avec le CD, les musiciens ponctuèrent au concert certaines interventions de sonneries : « cloches à main » d'une modernité élaborée, d'un timbre diaphane et mystérieux modulable en puissance, à la fois présentes et lointaines.
 
Latin et langue d'oïl alternent le plus souvent, sauf dans le Prélude sous-titré le XIIIe siècle, un monde entre sacré et profane, où tous deux se superposent le temps d'un singulier motet à 3 voix : Et Gaudebit / O quam sancta / El mois d'avril. S'ensuit la première entrée du récit de la vie du saint roi, vivante et douce ponctuation rythmique du programme. Outre le motet et une présence essentielle de l'inspiration grégorienne, le souple enchaînement des œuvres permet d'entendre des chansons fort développées et d'un intense lyrisme, bien que toujours d'une absolue légèreté : à la Vierge, mais aussi pseudo-profanes, dans la mesure où l'amour, par exemple, sous-entend sans cesse un passage ascendant de l'humain au divin. On découvre également deux chansons de croisade (de part et d'autre d'une « improvisation » de percussions suggérant la bataille de Mansourah), tandis qu'une estampie – l'un des premiers exemples de musique purement instrumentale du XIIIe siècle – illustre la vie de cour.
 
La dimension politique, à la gloire du roi, du pays ou de sa capitale, n'est jamais tout à fait absente (Prose Regis et pontificis : « Que la ville de Paris, école de la France, soit encore agrandie »), cependant qu'en ces temps d'alarmes, de tensions et d'appréhensions dans la mouvance des attentats – cela expliquerait-il une assistance moins fournie (mais attentive et engagée) que de coutume à Notre-Dame, les craintes du public potentiel (notamment étranger) demeurant vives ? –, certains passages des textes chantés rappellent combien le regard porté sur les croisades varie de façon vertigineuse selon que l'on se place du point de vue de l'occident chrétien ou de celui des mahométans, tour à tour croyants et mécréants. Ainsi l'ultime strophe de la première chanson de croisade (Tous li mons doit mener joie), vibrant encouragement à ce que la présence chrétienne se maintienne en Terre sainte, se referme-t-elle sur des lignes à rendre songeur dans le contexte actuel : « Il sera mis en haut siège devant Dieu, au paradis, celui qui répandra sa cervelle, ou son sang, ou ses entrailles, au pays où Dieu naquit de sa servante », tel un déstabilisant écho à rebours de l'Histoire.
 
Mais que cette musique est belle, et pure d'intentions dans sa restitution et sa « simplicité » sophistiquée. Si les deux derniers numéros – Prose Gaudiose Francia et Répons Felix regnum sont d'une ineffable beauté, les pages les plus envoûtantes de ce programme d'exception sont sans doute celles de type « conduit à deux voix », splendidement mélismatiques – ainsi, comme il se doit, sur le nom Maria – puis d'une ardente vivacité syllabique, sous-tendues d'une invention constante et virtuose : une pure merveille de chant parallèle. Un programme magistral et serein, à l'impact général suprêmement apaisant quand bien même, à l'intérieur de nombre de pièces, tout n'est que mouvement. L'autre merveille, c'est que le disque, de son côté, rend puissamment compte de l'émerveillement du concert.
 
Cette riche saison nouvelle se poursuit dès ce mardi 20 septembre avec un programme Bach, Charpentier et Haydn ; le 27 avec le premier des cinq grands concerts d'orgue du mardi, avec aux claviers Jean Guillou ; puis, le 4 octobre et sous la direction d'Henri Chalet, un programme Musiques anglaises : Britten et Vaughan Williams…
 
Michel Roubinet

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Paris, Cathédrale Notre-Dame, mardi 13 septembre 2016
 
 
(1) Les auditions du grand orgue le samedi soir : www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/audition-grand-orgue
(2) 1 CD MNDP 006
(3) www.concertclassic.com/article/le-livre-vermeil-de-montserrat-notre-dame-plenitude-et-vivacite-compte-rendu
 
 
Sites Internet :
 
Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr
 
Concert du mardi 13 septembre 2016
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/mardi-13-septembre-2016--20h30
 

Photos © DR

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