N’est pas monstre sacré qui veut. Et le récital de Daniel Barenboïm au Châtelet le 11 avril dernier montre que rares sont les artistes capables de livrer une version aussi libre et aboutie du Clavier Bien Tempéré de Bach. Parler directement au cœur avec une musique aussi spirituelle, voilà sa force. Barenboïm utilise très intelligemment les possibilités du piano : soin extrême des nuances, emploi de la pédale tonale, dynamique très marquée. En outre, on note des ajouts de basses et des tempi relativement souples. Son interprétation se voit ainsi fortement caractérisée, ce qui confère à chaque pièce une dimension et une ampleur singulière.

Cueilli dès la première note du Prélude en Do Majeur, le public se laisse guider sur cette terre promise que le pianiste donne à re-découvrir. Sobre et digne, Barenboïm aligne en deux heures et demie les 24 Préludes et Fugues du Premier Livre, privilégiant toujours l’expression à une intellectualisation froide et insipide. Les lignes simples et claires laissent apparaître une polyphonie riche et évidente. Cet effet est renforcé par des basses très sonores, notamment au début de la Fugue en ut dièse mineur ou du Prélude en Mi bémol majeur.

L’auditoire, très concentré, suit la progression du cycle en retenant son souffle. Dans le Prélude n°8 (Mi bémol mineur), Barenboïm déploie une poésie quasi romantique faite d’harmonies vibrantes et de tendres résonances. La Fugue témoigne également d’une profonde mansuétude et s’évanouit doucement dans un dernier accord céleste. La tonalité de sol majeur sera au contraire propice à une pure frénésie jubilatoire, le musicien conduisant le prélude avec un entrain et une vivacité emplis de jeunesse. La Fugue en si mineur marque la fin de la soirée. Barenboïm, inspiré jusqu’au bout, en souligne toute la gravité dans un tempo d’une lenteur et d’une solennité mystique.

Nicolas Nativel

Châtelet, le 11 avril.

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