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Paris - Compte-rendu - Elfes et monstres ; l’Orchestre National de France sous la baguette de Riccardo Muti

Muti ne manque pas d’humour, réunir en un concert des ennemis aussi déclarés que Cherubini et Berlioz c’est faire un joli pied de nez à l’histoire de la musique. L’ouverture de Lodoiska n’est pas la plus inspirée qui coula de la plume du directeur du Conservatoire, avec ses formules d’écoles et sa fin étranglée dans un presto boulé.

C’est que le chef réservait sa baguette pour la Symphonie Tragique de Schubert, celle qu’il dirige si souvent et toujours avec le même bonheur. Sans pourfendre l’Adagio molto avec les foudres d’un Sturm und Drang tardif, il appliqua plutôt la notion de tragique à l’Andante dont le rythme de marche battu aux violoncelles aura rarement résonné aussi clairement. Mais ce tragique était tout schubertien, suspendu, mystérieux. Dans le Scherzo, le patron de la Scala tirait tous les encorbellements des bois, musardant dans les clartés latines de l’Orchestre National qui sous sa baguette se fait subtil, précis, tente et réussit des phrasés inventifs. Un finale (avec reprise) mozartien, ébroué par tout un peuple d’elfes courait délicieusement sur des archets alertes.
Derrière le petit orchestre de Schubert sommeillait, appuyé coté cour, un violoncelle monstrueux, l’Octobasse, géant inquiétant, avec ses trois cordes pour se pendre. Il attendait son heure. Après l’entracte, un violoncelliste monté sur un escabeau se munissait d’un immense archet pour l’accorder et faire mugir le cyclope. Deux Ophicléides entraient discrètement pour se réfugier derrière les trombones, elles sont des stars depuis certains Troyens et fuient les photographes. Deux pavillons chinois, couramment utilisés par les janissaires et donc turcs d’origine, de toutes les fêtes de musiques militaires depuis que Bonaparte les a intégrés à la musique de sa garde, venaient décorer le proscenium.

Longtemps privilège de Roger Boutry ou de Désiré Dondeyne, la Symphonie funèbre et triomphale, avec ses trente clarinettes et des douze cors (entre autres), avait été ramenée par Muti à des proportions plus raisonnables, mais son effectif emplissait la scène du Théatre des Champs-Elysées. Tambours à petits maillets et alliage de bois qui font penser au jeu de cromorne de l’orgue, c’est bien la partie funèbre, sœur de la Marche d’Hamlet, qui inspira des traits de génie à Berlioz, et ce jusque dans le grand solo de trombone de l’Oraison où semble passer l’ombre de Lamennais. Mais lorsque éclate au chœur le « Gloire et triomphe » on réalise que Berlioz sait être pompier même lorsqu’il peut l’éviter. Impeccable, Muti donna à cette vaste symphonie tout l’espace qu’elle réclame, s’attardant sur les alliages inédits des pages funèbres et emportant avec panache la faible et bruyante péroraison.

Tous les berlioziens de Paris sortaient rayonnants, on avait enfin pu entendre le monstre rugir dans toute sa splendeur.

Jean-Charles Hoffelé

Concert de l’Orchestre National de France et de Riccardo Muti, Théâtre des Champs-Elysées, Paris, le 15 janvier 2004

Théâtre des Champs Elysées

Photo : Silvia Lelli – Emi Classics
 

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