Journal

Paris - Compte-rendu - Jamais aussi près de l’échafaud. Reprise du Dialogues des Carmélitesde Poulenc

La mise en espace de Francesca Zambello, malgré la conservation de sa « baraque à guillotiner » un rien ridicule, a plutôt bien supporté son extension de Garnier à Bastille, les vastes pans de murs amovibles qui constituent son seul décor demeurent aussi fonctionnels qu’impersonnels et la direction d’acteur est réduite au stricte minimum. Aux chanteurs d’habiter leurs personnages et dans cet opéra de femmes ce sont d’abord les hommes qui brillent d’un éclat singulier.

Beuron dresse en deux gestes un Chevalier de la Force fiévreux et héroïque, en voix de gloire, d’un style et d’un français exemplaires. Alagna n’a qu’a bien se tenir, le ténor parisien pourrait l’égaler assez rapidement dans le répertoire hexagonal. Très exact portrait du Marquis par Alain Vernhes, tout en finesse et en tendresse. Une paille chez ses messieurs, l’aumônier parlé de Michel Sénéchal, dont les trois notes ne font plus illusion et qui peine à dessiner un personnage. Les seconds rôles sont parfaits: impeccable Javelinot de Guillaume Antoine, très attachant Thierry, balourd et contrit, de l’excellent Yuri Kissin, les commis du peuple (Ballestra et Fel) mordants à souhait.

Au carmel, un faux emploi rédhibitoire : Anja Silja n’aurait jamais du se persuader de tenter Mère Marie, qu’elle ne peut plus incarner musicalement. Son français la trahissait, tant sa voix s’est faite malhabile dans la coloration des voyelles. A notre connaissance, Dawn Upshaw chantait ses premières Blanche : il lui manque le haut médium, si plein et souple chez Duval, pour exprimer ce mélange de fragilité et d’exaltation, de doute et d’abnégation qui trame le fonds du personnage, mais elle compense par un souci expressif de chaque instant, dessinant un destin aussi troublant qu’implacable.

Trop de Gurosan pour Patricia Petibon dans sa scène de blanchisserie, mais qui d’autre saurait être une Constance aussi naturelle ? Depuis Garnier, Palmer a encore durci sa Madame de Croissy : son agonie reste bien le clou du spectacle. Actrice faramineuse, dont la phonation si étrange rend malgré le caverneux du grain chaque mot compréhensible, elle demeure l’un des derniers monstres sacrés parmi les chanteuses de composition. La tendre et sereine Madame Lidoine d’Eva-Maria Westbroek compose un beau portait, empli de douceur, et ne pâlit pas devant le souvenir d’une Régine Crespin encore plus bourgeoise.

Dans la fosse, Nagano ne retrouve pas l’énergie coupante et la flamboyance qu’il avait déployé voici douze ans à l’Opéra de Lyon. L’acoustique de Bastille ne convient pas à l’orchestre de Poulenc qui écrivait vraiment pour des salles à l’ancienne. Dans cet immense vaisseau, cela ne sonne pas, ou sinon lourd et gras. Il suffit de fermer les yeux pour se souvenir comment Ozawa, à Garnier donnait à ses carmélites une dimension à la fois sensuelle et inquiète qui aura ici fait constamment défaut. Alors même que géographiquement elles ne s’étaient jamais trouvées aussi proches de leur lieu d’exécution historique, les carmélites n’ont pas eu tout le soutien d’orchestre que leur martyre réclame.

Jean-Charles Hoffelé

Paris, Opéra Bastille, le 9 novembre 2004 et les 13, 17, 21, 24 et 27 novembre

DVD Dialogues des Carmélites + extrait vidéo

Photo: Eric Mahoudeau
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles