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Pelléas et Mélisande au Théâtre des Champs-Elysées - Quai des brumes – Compte-rendu

 Comment deux artistes de la même génération, si engagés musicalement et théâtralement, ont-ils pu mener en parallèle leurs carrières sans jamais avoir été réunis ? Ceci restera un mystère. Le couple qu’ils forment dans la nouvelle production de Pelléas et Mélisande présentée actuellement au TCE est d’une telle justesse, d’une telle finesse, que l’on regrette d’avoir été privé si longtemps de leur présence conjointe dans le chef-d’œuvre de Debussy ?

Jean-Sébastien Bou (Pelléas) © Vincent Pontet

Si le fiévreux Pelléas que dessine Jean-Sébastien Bou a perdu de son insouciance, il conserve une jeunesse, une envie, qui le poussent irrésistiblement vers Mélisande dont il découvre l’existence alors que des filets de pêche sont relevés et dégouttent lentement…Tel un éternel adolescent, il tourne autour de cette étrange jeune femme, la provoque, joue avec elle avant de la séduire, malgré les mises en garde de son demi-frère. D’un naturel frémissant, débarrassé de la moindre convention, du moindre tic de jeu, ce Pelléas que rien n’arrête, peut compter sur une voix souple à l’émission claire de baryton, un rien tendue tout de même dans la bouleversante scène des aveux, rehaussée par une exemplaire diction de la prosodie française, qui ne souffre ici d’aucune affectation.
 
Cultivant de bout en bout le mystère, la Mélisande de Patricia Petibon est, comme nous nous y attendions, remarquable. Ce rôle qu’elle a peu côtoyé a eu le temps de se décanter et ce nouvel essai arrive à point nommé. La rondeur de son instrument est idéale, sa façon de blanchir certaines notes ou d’éviter tout vibrato est parfaite, sa tendance à faire un sort à chaque mot disparaissant rapidement au profit d’une prestation tout en douceur et teintée d’une trouble mélancolie. Son apparition en icône « klimtienne » dans la scène de la tour, embrasée par une chaude lumière (Bertrand Couderc) - que vient cependant gâter une trop imposante cascade de cheveux roux – avec celle tout aussi touchante de sa mort, dans ce lit délicatement posé sur l’eau, resteront longtemps dans les mémoires.

Louis Langrée © CSO

Plongé dans une atmosphère hantée où chaque scène semble avoir été travaillée comme d’antiques gravures sur lesquelles se jouent de délicates brumes crépusculaires, le drame ainsi traité par Eric Ruf prend un aspect somnambulique tout à fait passionnant. La présence de l’élément liquide avec ce bassin central qui s’oppose à ces rochers et à cette lourde paroi de cuve, qui tantôt avance et tantôt recule, accentue le caractère oppressant de cette intrigue, marquée par d’invisibles forces obscures qui conduisent inéluctablement à la mort Pelléas et de Mélisande.
 
D’une sobriété et d’une éloquence rares, Jean Teitgen apporte au vieux roi d’Allemonde une profonde humanité, comparable aux paroles rassurantes proférées par la Geneviève de Sylvie Brunet-Grupposo, tandis que Jennifer Courcier dispense au petit Yniold son lot de détresse et d’innocence. Aussi saisissant que Laurent Naouri (chez Pelly notamment), d’une sensuelle rugosité, Kyle Ketelsen est un extraordinaire Golaud dont le magnétisme n’a d’égal que la richesse d’un timbre chatoyant. Rude et tendre, torturé et fragile, son corps, sa voix et sa diction traduisent tout de son désarroi face à l’énigmatique Mélisande, qui disparaîtra en emportant ses secrets.
 
A nouveau dans la fosse du TCE après une mémorable version de concert donnée en avril 2011 (avec Keenlyside, Dessay et Naouri), Louis Langrée retrouve une partition qu’il chérit depuis de longues années et qu’il dirige de manière envoûtante. D’abord grave et lente, sa lecture prend soin de souligner les nombreux apports wagnériens, avant de mener les musiciens du National vers des rives moins lyriques et plus chambristes, tout en nimbant cette fresque onirique d’une ineffable poésie.
 
François Lesueur

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Debussy : Pelléas et Mélisande – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 9 mai ; prochaines représentations : 11, 13, 15 et 17 mai 2017 / www.concertclassic.com/concert/pelleas-et-melisande-0

Photo © Vincent Pontet

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