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Pierre Pincemaille à Saint-Denis - 25 ans aux claviers du Cavaillé-Coll op. 1 - Compte-rendu (orgue)
En 1841 était inauguré en la basilique royale de Saint-Denis l'Opus 1 d'Aristide Cavaillé-Coll : une drôle de machine, atypique et monumentale dans son altier buffet néogothique, proche encore de l'orgue classique (vingt rangs de fournitures et cymbales !) et riche de caractéristiques d'avenir : pressions différentes, première machine Barker, jeux harmoniques… Curieusement « déséquilibré » avec son double plan sonore principal démesuré : Grand-orgue (avec Montre 32') et Bombarde, soit trente-deux jeux commandés depuis le même clavier !, un imposant Positif intérieur et un petit Récit expressif (en 8 pieds), cet instrument sans équivalent dans l'œuvre du grand Aristide passe pour être d'un maniement méritoire ! Les longs tirants de registres à la console, l'absence d'appels d'anches, l'expression du Récit à cuiller, bref tout le maniement de ce monument est un défi à la souplesse du jeu et à la mise en œuvre des timbres. Ce qui n'est pas moins singulier, c'est que son titulaire, Pierre Pincemaille, est un amateur proclamé du « confort à tous les étages » : transmissions électriques, combinateur et séquenceur, tout ce qui peut contribuer à un art de l'improvisation symphonique alliant souplesse et nervosité – et qui, bien sûr, fait ici défaut. Le Cavaillé-Coll de Saint-Denis et Pierre Pincemaille seraient quasiment antinomiques…
Cela fait pourtant vingt-cinq ans qu'il est titulaire de ce prestigieux instrument, anniversaire fêté par un grand concert avec chœur. Ce qui explique cette fidélité à Saint-Denis ? Peut-être le fait que jouer cet orgue revient à être en permanence sur le fil du rasoir, pour un numéro à haut risque d'équilibriste sans filet : la manière même de jouer et de vivre la musique de Pincemaille. Preuve à l'appui en tête de programme : Deuxième Choral de Franck au souffle héroïque, impulsif et lyrique, aussi savamment que puissamment rubato – et pourtant d'un bout à l'autre sur tempo giusto, tant les fluctuations découlaient souverainement de la dramaturgie de l'œuvre –, avec mille occasions de goûter l'intense beauté et l'ampleur des jeux de fonds, et naturellement le grandiose chœur d'anches, incroyablement fourni et éclatant. Une fresque aux facettes innombrables, à l'image du défi de l'instrument et du jeu de Pincemaille (qui a gravé les « Douze Pièces » de Franck, mais à Saint-Sernin de Toulouse, Solstice, 2005).
Le corps du programme était la Messe solennelle pour chœur et deux orgues op. 16 de Vierne (Pincemaille l'a enregistrée à Saint-Denis en 1998, Forlane). En l'occurrence, l'orgue de chœur étant en fait dans la nef, le « petit orgue » plus particulièrement chargé d'accompagner le chœur était… numérique. Extrême présence, pas très naturelle mais offrant néanmoins un équilibre ad hoc avec le grand-orgue, particulièrement grandiose. À Pincemaille en tribune et Véra Nikitine à « l'orgue de chœur » répondait le remarquable Madrigal de Paris, sous la direction de son chef Pierre Calmelet. Une œuvre de cathédrale, idéale en ce lieu d'exception qu'est la basilique de Saint-Denis, mêlant apparat et tempérance, faste et sincérité de musicien. Immense succès, dans la nef glaciale, devant un public aussi généreusement fourni que le chœur d'anches de l'orgue de tribune. S'ensuivirent la première audition d'une œuvre (plus ancienne) pour chœur mixte a capella de Pincemaille : Ave Maria, page (trop) brève, petit chef-d'œuvre d'harmonie dans la lignée Ravel-Duruflé, aussitôt redonnée, pour doubler le plaisir, puis des versets improvisés sur l'hymne grégorienne Gloria laus et honor tibi sit (fête du Christ Roi, célébrée ce 25 novembre), chœur et grand-orgue alternant : concision et ductilité de variations traitant divers aspects de la palette du Cavaillé-Coll, improvisations de dimensions « liturgiques » superbement calibrées et poétiquement déclamées. Pour apprécier à volonté l'art de Pincemaille, rappelons qu'un nouveau CD vient de paraître chez Ctésibios – Cannes : Un festival d'improvisations – premier enregistrement de l'orgue Mühleisen de Notre-Dame de Bon Voyage, d'un maniement certes complexe, mais avec « confort à tous les étages »…
Michel Roubinet
Saint-Denis, basilique-cathédrale, 25 novembre 2012
Sites Internet :
Pierre Pincemaille
http://pierrepincemaille.fr
Le Madrigal de Paris
http://madrigaldeparis.free.fr
Orgue Cavaillé-Coll de la basilique-cathédrale de Saint-Denis
http://pierrepincemaille.fr/?page_id=33
http://www.uquebec.ca/musique/orgues/france/sdenisp.html
Aristide Cavaillé-Coll
http://www.musimem.com/cavaille-coll.htm#entreprise
CD Ctésibios de Pierre Pincemaille
http://www.ctesibios.fr/ctesibios/p-pincemaille.html
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Photo : DR
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