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Portrait de Robin Pharo, gambiste - « Je me sens bien dans le répertoire français »

«L’Anonyme Parisien » : l’enregistrement des pièces de viole de Charles Dollé (pour le label Paraty) que Robin Pharo (photo) a signé, entouré d’artistes de sa génération (Ronald Martin Alonso, Thibaut Rousssel, Loris Barrucand, Ronan Khalil), a été l’une des belles surprises discographiques de la rentrée passée (1). Depuis, le violiste a plusieurs fois eu l’occasion de donner ce programme en concert avec ses amis musiciens. Le 29 janvier, leur équipe se reconstitue dans le cadre de la Série « Les Solistes de demain », à Moulins-sur-Allier, peu avant que R. Pharo ne retrouve Nevermind (2) – quatuor qu’il forme avec Anna Besson, Louis Creac’h et Jean Rondeau. On les trouvera d’abord à la Folle Journée de Nantes (1er fév.), puis au festival Les Goûts Réunis (11 fév.), près de Lausanne, et enfin à Bruxelles (Bozar, le 14 fév.).
 
Robin Pharo © Nemo Perier Stefanovitch
                                                                                                                                                                                                             
Et pourquoi pas la viole ? D’autres s’éprennent de la flûte, de la guitare ou du piano ; c’est sur l’instrument à archet, découvert un peu par hasard, que Robin Pharo (né en 1990) jette très tôt son dévolu. Il n’a que 5 ans lorsque Jean-Louis Charbonnier prend en main sa formation (Pharo étudiera par la suite avec lui au Conservatoire du IXe à Paris). Un irremplaçable pédagogue que l’interprète évoque avec reconnaissance et estime. Inlassable avocat de la viole, organisateur de nombreux stages (Asfeld, Dieppe, Pontlevoy, etc.), J.-L. Charbonnier « sait rendre la musique accessible et intelligible, il a joué un rôle essentiel dans mon désir de m’y consacrer », souligne R. Pharo. Apprendre à aimer : la plus essentielle des bases était posée ...

Passons sur les péripéties d’une scolarité conjuguant études générales – Bac S à 17 ans – et musicales. Pour l’anecdote, le gambiste s’est lancé après son bac dans un cursus de biologie et de physique à Jussieu, qui aurait dû durer deux ans ... Guère à son aise dans cet univers, il met un terme à l’expérience au bout... de trois jours ! Pour mieux profiter de ce que Caroline Howald et Ariane Maurette lui enseignent au CRR de la rue de Madrid. Ou encore de masterclasses avec Paolo Pandolfo, professeur à la Schola Cantorum de Bâle. Le projet, un temps caressé, d’aller étudier en Suisse ne se concrétisera pas. La rencontre avec son aîné italien s’avère toutefois décisive : « Paolo m’a mis en face de l’exigence du métier de musicien. »

Une autre rencontre, plus décisive encore, l’attend avec l’entrée au CNSMD de Paris en 2009, dans la classe de Christophe Coin. L’élève et son professeur mettront du temps à se trouver. « Christophe Coin est quelqu’un de discret, que je ne connaissais pas ; j’ai mis six mois à le découvrir et j’ai découvert un « Maître » au sens ancien du terme, confie R. Pharo avec un intense émotion. » Pas question pour autant de nier l’apport de ses précédents professeurs. Ils ont préparé le terrain propice à l’éclosion qui s’est produite avec l’entrée au CNSMDP. Auprès de C. Coin, « musicien d’une sensibilité et d’une exigence incroyables », le gambiste s’épanouit. On le sent un peu nostalgique de cette époque : « j’arrivais à tous les cours avec une immense motivation musicale et humaine ; pas une seule fois je n’y suis allé à reculons ».

La fréquentation de la classe d’analyse de Claude Abromont (grands souvenirs autour de La Mer et du Sacre du Printemps !), de celles de basse continue de Blandine Rannou et de musique de chambre de Kenneth Weiss apportent beaucoup en parallèle à un étudiant qui suivra aussi des cours de Juan Manuel Quintana, venu remplacer ponctuellement C. Coin, ou une masterclass d’Atsuki Sakai.

Nervermind ( de g. à dr. ; Louis Creac'h, Robin Pharo, Anna Besson et Jean Rondeau) © Edouard Bressy 

L’avenir se prépare ; la belle aventure du quatuor Nevermind commence au CNSMDP avec la rencontre de la flûtiste Anna Besson et du claveciniste Jean Rondeau, tous deux étudiants du département de musique ancienne – bientôt des amis. Durant sa deuxième année, R. Pharo intègre des projets de musique de chambre avec ses deux camarades. Un projet spécifique avec deux chanteurs du CNSMDP offre l’occasion au gambiste de rencontrer le violoniste Louis Creac’h, qui n’est pas étudiant au Conservatoire.
Bientôt, des Pièces de clavecin en concert de Rameau réunissent les quatre musiciens : le courant passe ! « Dès ma première répétition avec Anna, Louis et Jean, j’ai senti une grande connivence. L'amitié a toujours été un lien fort entre nous. Si le quatuor existe aujourd’hui, c’est très certainement parce que l’envie et l’immense plaisir de jouer ensemble furent présents dès notre première rencontre artistique, confie R. Pharo. Je pense que le son de notre quatuor a toujours existé. Il s’est imposé à nous dès nos débuts, comme un objet dont nous n’avions plus qu’à étoffer indéfiniment l’aspect, si nous le souhaitions. Après deux années à travailler ensemble en toute confidentialité, nous avons décidé de créer enfin notre groupe, notre quatuor. » Un concert à Combloux, le 15 juillet 2013, dans le cadre du festival baroque du Mont-Blanc marquera la naissance officielle de l’ensemble.

« Le travail avec Nevermind a toujours été une grande source d’inspiration pour mes projets plus personnels, poursuit le gambiste. La spontanéité musicale d'Anna, alliée à une maîtrise sans faille de son instrument, fut un exemple à suivre sans hésitation. La carrière de Jean et sa maîtrise ferme du texte musical, qu’il sublimait toujours, m’ont toujours impressionné et motivé. L’exigence inouïe du jeu de Louis, la pureté du son qu’il est en mesure de développer continuent aujourd’hui encore de m’inspirer. Il est évident que la dynamique du quatuor a contribué à motiver mes entreprises artistiques plus personnelles. »

Entreprises parmi lesquelles figure en bonne place le disque Charles Dollé, pour lequel R. Pharo et ses partenaires se retroussent les manches. Une opération de crowdfunding permet de réunir les fonds nécessaires à sa réalisation. Pourquoi Dollé ? La découverte de cet auteur s’est produite au Conservatoire, grâce à C. Coin, « musicien curieux comme il n’y a en pas beaucoup ». Carillon conclusif de la 3ème Suite en la majeur : suggestion du maître à la fin d’un cours. L’élève fonce à la bibliothèque et met la main sur une pièce très difficile qu’il monte et présente bientôt à son professeur : « c’est l’une des toutes premières fois où il m’a dit bravo », se souvient R. Pharo – un moment qu’il n’est pas près d’oublier ...

La rencontre avec Dollé a eu lieu ; ils feront plus ample connaissance ultérieurement. L’étudiant est pour le moment « boulimique de tous les répertoires » de viole, avec un penchant prononcé pour le français. « Je m’y sens bien, remarque-t-il très simplement. » La sensibilité et la pudeur de son tempérament correspondent il est vrai idéalement à cette musique.
Chaque chose en son temps. R. Pharo s’en laisse encore un peu avant d’aborder en studio Sainte-Colombe, Marais et autre Forqueray. Mais deux ans après la sortie du CNSMDP le moment était venu d’un premier disque et c’est assez naturellement vers Dollé que s’est tourné un vrai poète de l’archet.

Charles Dollé : Tombeau de Marais Le Père (ext.)

La biographie du violiste compositeur (vers 1710-vers 1755) demeure bien imprécise. On ne sait s’il fut élève de Marin Marais, mais le bouleversant Tombeau pour Marais Le Père de la 2ème Suite en ut mineur traduit en tout cas l’admiration pour son illustre confrère. Par ce biais, R. Pharo « s’identifie » à la musique de Dollé et la fait revivre par-delà les siècles.
Un projet d’amis une fois de plus : au continuo, Ronald Martin Alonso (viole), Ronan Khalil (clavecin) et Thibaut Roussel (théorbe et guitare) sont de vieilles connaissances. La rencontre avec Loris Barrucand – qui apporte la sonorité, aussi inattendue que bienvenue, d’un orgue positif à certaines pièces – a été plus récente. Le résultat s'impose, « vrai régal sonore » pour le gambiste.
 
Quant au futur, R. Pharo déborde de projets, pas seulement dans le domaine baroque. Il est compositeur et a par exemple imaginé la musique de « Au cœur », spectacle pour danseurs et viole de Thierry Thieû Niang présenté à Avignon et repris en novembre dernier au théâtre Paris-Villette, puis à Belfort en décembre. En 2018, on le retrouvera dans une œuvre pour consort de violes de Yassen Vodenitcharov (né en 1964).

Les compositeurs des XVIIe et XVIII siècles – pas uniquement français –  l'inspirent beaucoup aussi en ce moment. Il préfère rester discret sur les programmes cours d'élaboration. Patience ... Le moment venu, le bonheur ne sera que plus grand de les découvrir.
Dans l’immédiat, si vous en avez la possibilité, courrez à Moulins-sur-Allier pour céder aux secrètes beautés de « L’Anonyme Parisien », et ne manquez pas les prochains rendez-vous avec Nevermind !
 
Alain Cochard  

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(Entretien avec Robin Pharo réalisé le 10 novembre 2016)
 
(1) http://www.concertclassic.com/article/lanonyme-parisien-robin-pharo-joue-charles-dolle-le-disque-de-la-semaine
 
(2)Nevermind a signé un Disque « Conversations » (œuvres de Quentin & Guillemain ; chez Alpha), aussi original que réussi, qui a été salué ici en avril dernier : www.concertclassic.com/article/le-disque-de-la-semaine-conversations-par-nevermind-oeuvres-de-quentin-guillemain
 
Robin Pharo en concert : 
29 janvier 2017 - « L’Anonyme Parisien », Saison « Solistes de Demain », Moulins sur Allier / solistes-de-demain.com
 (rens. : contact@solistes-de-demain.com )
1 février 2017 - Quatuor Nevermind, Folle journée de Nantes / follejournee.fr/fr/evenements/ensemble-nevermind#aside-date
11 février 2017 - Quatuor Nevermind, Festival Les Goûts Réunis, Suisse / www.lesgoutsreunis.com
 
14 février 2017- Quatuor Nevermind, Bruxelles, Bozar / www.bozar.be/fr/activities/109006-nevermind
 
Notez que R. Pharo se produit aussi, au sein de l’ensemble Alia Mens, à l’Opéra de Lille, le 8 février 2017 / www.opera-lille.fr/fr/saison-16-17/bdd/cat/mercredi/sid/99676_la-galante-confidence

Photo © Nemo Perier Stefanovitch

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