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Ravel et Tailleferre au CNSMD de Lyon - Energie et talent - Compte-rendu

Après une Chauve-Souris la saison dernière, Benoît Bénichou retrouvait quelques solistes des classes de chant du CNSMDL pour un nouvel et original projet lyrique. L’Heure espagnole de Ravel n’est certes pas une rareté mais il est pour le moins inattendu de la découvrir entourée de deux ouvrages de Germaine Tailleferre (tirés des quatre « opéras de poche » écrits en 1955) : La pauvre Eugénie à la manière de Gustave Charpentier et Le bel Ambitieux à la manière de Gioacchino Rossini.

Etablir une suite logique entre ces trois ouvrages très contrastés pouvait sembler relever de la gageure, mais Benoît Bénichou y est parvenu en inventant une « Eugénie-Concepcion » qui tient lieu de trait d’union entre les trois partitions. Scénographie plus que modeste, mais l’imagination du metteur en scène y supplée largement. Alliée à la formidable énergie qui se dégage de jeunes chanteurs pleinement investis dans le projet, elle aboutit à un spectacle d’1h 45 environ où l’on ne voit pas le temps passer.

Avec fluidité le spectateur évolue de l’atelier de couture, où Eugénie a eu la très vilaine idée de manger du saucisson à l’ail, à l’univers surréaliste et passablement déjanté du Bel Ambitieux, en passant par l’horlogerie de Torquemada. Fluidité à laquelle contribuent aussi des projections vidéos, qui mêlent humour et clins d’œil coquins, et la présence d’étranges figurants et figurantes vêtus de noir et masqués ; contrepoint mystérieux et érotico-onirique à l’action.

Reste que le spectacle est vraiment porté par de jeunes chanteurs (bien préparés par Agnès Melchior et Philippe Grammatico) qui font honneur aux classes du CNSMDL. Révélation de la soirée le baryton Mathieu Gardon (Ramiro, Alphonse) allie richesse du timbre, homogénéité et qualité de diction à une présence scénique remarquable. Point sur lequel le beau soprano d’Alix Leparoux (Concepcion) retient aussi l’attention.

L’intérêt du spectacle aura été d’amener plusieurs participants à tenir des rôles très différents. Si la voix bien timbrée de la mezzo Anthea Pichanick n’est pas pleinement exploitée dans le cadre des œuvres ici abordées, l’artiste révèle un sacré tempérament comique en passant de Paula (La pauvre Eugénie) à une Euphrasie impayablement nunuche (Le bel ambitieux), face à sa mère Clementine jouée par Margo Arsane (sop.), qui a auparavant été une Eugénie jouant habilement des références à Louise. Changement de personnage bien maîtrisé aussi pour le ténor Samy Camps, viril Gonzalve dans L’Heure espagnole, puis domestique sénile et zozotant dans Le bel Ambitieux, comme pour le baryton Etienne Chevallier, Inigo puis teutonesque Baron Pschutt.

S’ils occupent une place plus modeste dans le spectacle Wladimir Bouckaert (convaincant Torquemada), Ismène Lanfant, Aline Maalouf, Benoît Descamps ou Nicolas Josserand méritent aussi d’être salués pour leurs qualités vocales et leur engagement. Dirigé par Fabrice Pierre, un ensemble constitué d’élèves du CNSMDL interprète avec relief L’Heure espagnole. C’est en revanche avec piano que sont donnés les deux miniatures de Tailleferre : Anne-Laure Mahieux et Naoko Jo s’y révèlent accompagnatrices aussi précises que sensibles.

Avec des voix aussi prometteuses dans ses classes, c’est non pas un seul spectacle, mais une vraie petite saison lyrique que le CNSMDL pourrait proposer.

Alain Cochard

Ravel : L’Heure espagnole
Tailleferre : La pauvre Eugénie, Le bel Ambitieux

Lyon, CNSMD, Salle Varèse, 26 janvier 2013

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Photo : Benoît Bénichou
 

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