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Reflections de Michael Jarrell (création mondiale) et le Te Deum de Berlioz sous la direction de Kazuki Yamada à la Philharmonie de Paris – Belles intentions en partie frustrées – Compte-rendu

Dans le cadre du « Week-end Berlioz 2 » de la Philharmonie de Paris, ce concert associe la création mondiale de Reflections de Michael Jarrell et le Te Deum de Berlioz. On pourra s’étonner qu’un concerto pour piano prélude à une vaste œuvre chorale liturgique (à cet égard, par exemple, la création de La Lumière et l’ombre de Philippe Hersant répondait mieux à ce même Te Deum dont il reprenait les effectifs, pour les 40 ans de l’Orchestre de Paris en 2017 (1)).
 
© Marco Borggreve
Bertrand Chamayou © Marco Borggreve

Troisième ouvrage pour piano et orchestre de l’artiste suisse –  après Abschied en 2001 et Reflets en 2014 –  Reflections est une commande de Radio France, dont l’Orchestre Philharmonique ici officie, commande conjointe avec l’Orchestre de la Suisse romande, et appelée donc à être redonnée dans un autre contexte. Cet ultime opus de Jarrell (né en 1958) recèle bien des séductions, dans ses chatoyants coloris orchestraux et son dialogue pianistique en forme de continuo, alterné vif-lent-vif au cours de ses trois mouvements. Le piano de Bertrand Chamayou (dédicataire de la partition) s’en empare avec la maîtrise virtuose qu’on lui connaît devant un Philharmonique de Radio France virevoltant sous la battue investie de Kazuki Yamada.
 
Après l’entracte, la venue des chœurs (Chœur de Radio France, Chœur de l’Armée française, Maîtrise de Radio France, Chœur d’enfants de l’Orchestre de Paris, Maîtrise Notre-Dame de Paris) et une autre mise en place d’un orchestre étoffé, installent le Te Deum. Les effectifs imposants (quelque 150 instrumentistes et 350 choristes), s’approchent de ceux souhaités par Berlioz (160 instrumentistes, deux groupes de 100 choristes, un chœur de 600 enfants à la création en 1855 à l’église Saint-Eustache à Paris) ; non imposés toutefois par le compositeur, qui précise « il n’y a pas besoin de mille exécutants dans cette affaire » et que le chœur d’enfants « peut être supprimé bien qu’il contribue puissamment à l’effet ». Si ce n’est que les répartitions spatiales (deux chœurs de part et d’autre, un chœur d’enfants « isolé sur une estrade »), elles bien spécifiées, ne sont pas respectées dans un ensemble choral d’une seule pièce en arrière-fond de la grande salle de la Philharmonie au-dessus de l’orchestre. Il en résulte un chant unique, où disparaît le contrepoint choral en réponses de ses différentes parties et de l’orchestre. En particulier pour les nombreux enfants dont la participation « à l’unisson » ne ressort guère, engloutie dans la masse chorale. Pareillement pour l’orgue, prévu « à l’extrémité opposée », mais ici transmis du même plan que l’orchestre et les chœurs. D’où un son uniforme qui ne rend pas entière justice de « ce travail contrapuntique fouillé à l’extrême où l’espace joue son rôle » (Henry Barraud).
 
On regrettera aussi que l’orchestre, malgré ses effectifs conséquents dont onze contrebasses et huit harpes, présente une répartition instrumentale à la façon XXe siècle, ses premiers et seconds violons à la suite. Mais on apprécie l’initiative d’inclure les deux pages instrumentales rarement données : le « Prélude » (facultatif selon le compositeur) après le deuxième mouvement et la « Marche pour la présentation des drapeaux » en forme de conclusion orchestrale avec ses harpes ardentes (douze, théoriquement). Donc, un certain nombre d’intentions louables, mais qui auraient gagné à être plus abouties.
 
Il en serait de même de l’interprétation. Les chœurs réagissent avec une belle unité, sachant doser emportement et méditation (la fin a cappella du Te ergo quaesumus), même si les registres féminins témoignent d’une plus grande souplesse que leurs homologues masculins. L’orchestre répond sans faillir. Une mention particulière pour le ténor Barry Banks, d’un chant projeté entre exaltation et extase au cours de son solo, dans cette acoustique pourtant peu propice à la voix soliste. L’orgue accomplit sa tâche sans accroc par le jeu de Thomas Ospital, quand bien même manquerait une résonnance d’église. Dans un rendu un peu rêche au départ, la restitution d’ensemble s’épanouit ensuite largement sous la direction enlevée de Kazuki Yamada (par ailleurs directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo et ancien chef principal invité de l'Orchestre de la Suisse romande), mais dont on aurait goûté qu’elle se fasse plus fouillée et détaillée. En comparaison, en cette même Philharmonie il y a quatre ans (2) puis au Festival Berlioz (3), François-Xavier Roth avait su faire preuve dans cette œuvre d’une intériorité autrement mieux creusée.
 
Pierre-René Serna

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