Journal
Rencontre avec Marcel Quillévéré – Cuba, ma passion, ma blessure
Edité par Albin Michel en partenariat avec France Musique « Cuba, une histoire de l’île par sa musique et sa littérature », ouvrage publié il y a quelques jours, est une somme incontournable dès sa parution par sa richesse d’écriture et son iconographie surprenante et éblouissante. Aurait-il pu en être autrement de la part d’un auteur qui, l’été dernier, nous a fait voyager à ses côtés sur France-Musique avec les épisodes quotidiens de son « Carrefour des Amériques » consacré à l’île. Rencontre avec un érudit aux multiples facettes.
Qui est vraiment Marcel Quillévéré ? Producteur de radio, chanteur lyrique, directeur d’opéra, auteur, traducteur et conférencier ? Tout ça mon général ! Lorsqu’on lui demande où se trouvent les prémices de son « hispanitude » il remonte dans le temps jusqu’à son adolescence. « J’avais 14 ans et j’ai découvert Madrid au cours d’un voyage scolaire… Deux ans plus tard, même pas majeur, je retournais seul à Madrid qui m’avait fasciné. » Ses racines bretonnes, profondes, ne l’ont pas empêché de faire de la langue de Cervantes un idiome quasi maternel qui allait lui servir par la suite. « En fait je voulais devenir chanteur d’opéra. Mon père était forgeron, ma mère fille d’agriculteur et il fallait que je me donne les moyens d’arriver à mes fins. Alors je suis devenu professeur d’espagnol en enseignant dans un collège en Bretagne puis en banlieue parisienne lorsque j’ai obtenu mon CAPES. »
En 1974 il s’en va découvrir le Mexique mais pas que ! Des trésors musicaux se dévoilent alors à lui ; ils sont les œuvres, au fil de l’histoire du pays, des compositeurs locaux. Un voyage édifiant, vécu avec intensité. « Au retour je me suis dit qu’il était temps d’aller découvrir Cuba et j’y suis allé ; seize ans après la révolution j’ai tout ramassé dans la figure. J’ai vécu chez l’habitant et ressenti la nostalgie qui habitait les personnes que je rencontrais ; celles-là même qui m’ont initié à l’histoire musicale du pays, qui m’en ont fait découvrir la richesse. J’ai appris que Caruso, venu chanter Aïda à La Havane, s’était retrouvé en costume égyptien dans la rue après une explosion dans le théâtre ; j’ai découvert avec surprise que Elisabeth Schwarzkopf avait donné des lieder de Wolf devant une salle pleine et attentive. On ma informé que la troupe de Louis Jouvet s’était produite à Cuba, que les cireurs de chaussures de La Havane ne faisaient pas payer Erich Kleiber et que ce dernier jouait du bongo dans la rue… Des moments souvent occultés par les bouleversements politiques mais restés ancrés dans les mémoires. » Sa plongée dans ce passé culturel étonnement riche ne concernera pas que la musique et l’art lyrique, mais toutes les formes artistiques : danse, littérature, peinture… L’île de Cuba qui se présente ainsi à Marcel Quillévéré est loin de n’être que celle des cigares, du rhum ou des grosses voitures. Dès lors il n’aura de cesse de se perdre dans les ruelles Santiago de Cuba et sur les boulevards de La Havane pour humer l’air du vrai… Il a Cuba au cœur, à jamais sa passion.
Entre 1977 et 1981, alors qu’il étudie à la Julliard School, il accueille, et héberge, des exilés cubains qui arrivent en masse depuis le port de Mariel. C’est l’heure de la blessure ; exit la musique, retour à la cruelle réalité de la révolution, ses errements, ses drames. « Pendant quatre ans, à New-York, j’ai vécu dans le monde de l’exil et une petite famille cubaine s’est créée à mes côtés. Aujourd’hui c’est toujours un lien familial qui nous unit. » Ce séjour new-yorkais le verra aussi courir les magasins « discos latinos » avec ses amis, toujours animé par l’esprit de découverte. Et lorsqu’un peu moins de vingt ans plus tard, en 1994, Antoine Livio lui demande de réaliser des émissions de radio mettant la musique des années 1950 en abîme avec l’histoire de l’Amérique latine, une nouvelle aventure débute. Elle se prolongera jusqu’à l’été dernier avec des séries d’émissions enregistrées pour les radios francophones, notamment France Musique. C’est « Carrefour des Amériques ».
Marcel Quillévéré partage alors sa vie entre ses activités de directeur d’opéra (notamment à Genève et Marseille avec Renée Auphan) de ce côté de l’Atlantique et ses recherches de l’autre côté… « Je travaillais à l’Université de Miami pour tout ce qui concernait la musique cubaine car sur l’île ça aurait été suspect » Il retourne, bien entendu, régulièrement à Cuba "en touriste", ou tout comme ! Il séjourne aussi en Colombie, au Brésil, en Argentine, Nagra (c’est un magnétophone) en bandoulière et stylo à la main. Puis le jour où il faut concrétiser les émissions sur Cuba, il travaille un moment à la CMBF, le « France Musique » de la Havane. Il s’était déjà constitué une belle collection d’enregistrements et de disques et il va découvrir un fonds de musiques prohibées dans les réserves. Autant dire que tout ça ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd ! Et finit dans les nôtres sur les ondes de France Musique en cet été 2022.
« De nombreux amis m’ont alors conseillé d’écrire un livre pour chaque pays évoqué au long du carrefour des Amériques en ouvrant le bal avec Cuba. Initialement j’avais projeté un dictionnaire amoureux ; puis, très vite, j’ai pensé qu’il serait plus intéressant de se rapprocher du format des émissions, de raconter des histoires. Mais il était impossible de publier les textes lus à la radio ; langage parlé et langage écrit ne sont pas compatibles. Alors j’ai travaillé comme un fou pendant un an en étant aidé par des Cubains et notamment ma grande amie pianiste Marie-Claude Arbaretaz. Ils ont scrupuleusement relu tout ce que j’écrivais. L’occasion pour plusieurs d’entre eux de découvrir des pans de l’histoire de leur île. Quant à l’iconographie elle provient, en grande partie, d’archives familiales issues d’albums de ces amis. »
Ainsi est né ce très beau livre, disponible depuis quelques semaines ; 368 pages pour débuter l’histoire à Santiago de Cuba en compagnie d’Esteban Salas en 1725 et la refermer, provisoirement, le 7 décembre 2021 avec Rolando Díaz, réalisateur cubain exilé en Espagne, qui, au cours de la présentation de son film « Dossiers d’absences » à La Havane, a soutenu publiquement les manifestations du 11 juillet 2021 contre la dictature et le mouvement « Patria y vida » initié par des rappeurs noirs ! En attendant un prochain ouvrage...
Michel Egéa
(Entretien avec Marcel Quillévéré réalisé le 14 décembre 2022)
Photo : Marcel Quillévéré à France 24 TV le 7 décembre 2022 © DR
Derniers articles
-
21 Décembre 2024Jacqueline THUILLEUX
-
19 Décembre 2024Jacqueline THUILLEUX
-
17 Décembre 2024Alain COCHARD