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Rentrée de l’Orchestre Lamoureux – La musique en voyage

Un nouveau chapitre s’ouvre dans l’histoire de l’Orchestre Lamoureux : avec la rentrée 2015 Pierre Thilloy (photo) prend officiellement ses fonctions de directeur musical (mais aussi de compositeur en résidence) de l’une des plus anciennes formations symphoniques parisiennes, succédant à Fayçal Karoui.
 
Lamoureux, ce sont d’abord beaucoup de lointains et beaux souvenirs pour P. Thilloy (né en 1970), qui mesure combien cette phalange est étroitement associée à son histoire personnelle. « Enfant, j’allais à tous les concerts de l’Orchestre Lamoureux ; c’est par lui que j’ai été amené à la musique d’orchestre », se remémore un artiste au parcours singulier, venu tardivement à la composition.

Orchestre sociétaire, Lamoureux a les avantages et les inconvénients de son statut, une flexibilité qui va de pair « avec des problèmes de survie, une constante dans son histoire », constate le nouveau directeur musical.
«Il fallait trouver le mouton à cinq pattes qui accepte le challenge , reconnaît-il, ce qui me  convient bien par rapport à ma manière de fonctionner, d’envisager la programmation artistique en fonction de projets personnels en tant que compositeur et de les orienter en sachant ce qui est possible ou pas. »

Pierre Thilloy relève le défi de la continuité de l’Orchestre Lamoureux à sa manière, fort des liens qu’il a tissés avec l’Azerbaïdjan. Compositeur en résidence auprès de l’ambassade de France à Bakou il y a une quinzaine d’années – aventure d’un mois au départ, elle aura finalement duré… près de six ans -, il y a « rencontré beaucoup de musiciens et noué des amitiés musicales et fraternelles. C’est l’un des pays où je me rends le plus souvent ; j’avais envie de faire entendre au public français des partitions symphoniques assez étonnantes. »
 
Intitulé « De Feu et de Soie », le concert inaugural de la saison, le 13 septembre au Théâtre des Champs-Elysées, est décrit par son concepteur comme un « feu d’artifice autour de l’Azerbaïdjan ». Œuvres, instruments, interprètes : P. Thilloy a eu envie de « montrer toutes les facettes » de la musique symphonique de ce pays. Un projet qui, explique-t-il, n’a pu se mettre en place que « grâce à l’appui financier de la Fondation Heydar Aliyev – dirigée par le Première Dame d’Azerbaïdjan - qui soutient la culture et l’éducation dans le pays comme à l’étranger. »
 
Beaucoup de compositeurs inconnus du public français figurent au programme du concert que dirige Ayyub Guliyev, à commencer par Üzeyir Hadjibeyli et son ouverture Koroglu – un héros populaire qui a auparavant inspiré … George Sand ! A côté de Hadjibeyli, ami de Chostakovitch, on trouve Gara Garayev, élève du compositeur russe, et la valse tirée du ballet Les sept beautés, morceau que l’on pourrait décrire comme une «Valse de Chosta » azerbaïdjanaise.
 
P. Thilloy tenait à ce que des instruments traditionnels soient représentés. De Haji Khanmammadov, on découvrira le Concerto pour tar et kamantcha (le tar est une sorte de oud, le kamantcha un violon de genou à deux cordes), « deux instruments qui font partie de l’ADN musical de l’Azerbaïdjan », souligne le directeur musical.
 
La tendance jazz sera aussi représentée avec un concerto pour piano signé Vagif Mustafazadeh (le père de la célèbre jazzwoman Aziza Mustafazadeh).  Dans un tout autre registre, le Concerto pour piano de Fikret Amirov est programmé. Une partition très virtuose que le compositeur écrivit avec l'aide de la pianiste Elmira Nazirova (l’une des passions amoureuses de Chostakovitch, a laquelle ce dernier fait référence dans l’un des thèmes de la 10ème Symphonie op. 93). Autant d’œuvres pianistiques que se partageront Emil Afrasiyab et Murad Huseynov.
        
Parmi toutes ces compositions azerbaïdjanaises, on trouve L’Apprenti sorcier de Dukas. Une madeleine de Proust pour P.Thilloy : la première œuvre entendue lors de son premier concert à l’Orchestre Lamoureux… Compositeur en résidence à l’Orchestre Lamoureux, P. Thilloy est présent sous ce visage dans le programme « De Soie et de Feu » avec sa 10ème Symphonie « Exil ». Pourquoi cette œuvre, ce titre ? « On a beau aimer la culture d’un pays, on n’est pas sans ignorer le contexte politique. » Tout en ne se considérant « pas à même de juger », P. Thilloy n’oublie pas que « près d’un million d’Azéris vivent en dehors de l’Azerbaïdjan. Etre créateur, poursuit-il, c’est être une sorte de sentinelle de l’humanité ; pas pour donner des leçons ni apporter des solutions, mais pour attirer le regard sur des problèmes de société qui sont universels. » La Symphonie « Exil » est décrite par son auteur comme une « œuvre totale » et fait appel aux art numériques avec une partie vidéo réalisée par le collectif Kords (fondé il y a cinq ans par P. Thilloy, Vincent et François Guilliou).
 
La suite de la saison permet d’entendre d’autres ouvrages azerbaïdjanais, mais aussi des interprètes originaires de la Perle du Caucase. Ainsi P. Thilloy a-t-il confié le 2ème Concerto de Chopin au pianiste de jazz Emil Afrasiyab (14 fév.) lors d’un concert dirigé par Laurent Goossaert qui comporte en outre la création de Liaisons dangereuses, suite pour orchestre symphonique et octuor de jazz de Frédéric Norel.
 
Orchestre à vocation familiale et populaire, Lamoureux fait une belle place à la musique de film cette saison. «J’adore le cinéma où l’on peut parfois entendre des partitions redoutablement belles », confie P. Thilloy. Le 15 novembre l’orchestre interprète un programme dirigé par Jean-Claude Petit. Outre des pages de ce dernier, on entendra Don Quichotte à Dulcinée de Ravel et Le Chevalier errant d’Ibert, ouvrages initialement écrits pour le cinéma. Mais dès la mi-octobre, les amoureux de l’univers de Tim Burton ont rendez-vous trois jours d’affilée au Grand Rex (10, 11 et 12 oct.) pour des concerts entièrement dédiés au compositeur fétiche du réalisateur américain : Danny Elfman.
 
Beau succès public en vue aussi pour l’ « Université populaire symphonique » que Michel Onfray animera en mars prochain : une réflexion sur l’implication des phénomènes politiques dans la musique, à partir des Carmina Burana de Carl Orff entre autres.
Un ouvrage auquel le Chœur Lamoureux (dirigée par Patrick Marco) prendra part, à côté d’autres formations. On l’entendra par ailleurs lors des concerts Danny Elfman ou en fin de saison dans la Messe en mi mineur de Bruckner (4/06), mais aussi dès le 25 septembre aux Invalides lors d’une soirée dirigée par Paul Meyer (il Fayçal Karoui initialement annoncé) et consacrée à la Messe en ut mineur de Mozart.
 
L’Orchestre Lamoureux est depuis l’origine très ancré dans vie musicale parisienne, mais ne s’y cantonne cependant pas. « Nous avons un très beau partenariat avec le Théâtre de Rungis (où un certains nombre de concerts sont doublés) qui devrait se renforcer dans le temps», remarque P. Thilloy. Et c’est au-delà des frontières françaises que la formation se rend dès le 14 septembre pour participer au Festival culturel international de musique symphonique d’Alger, avec un programme à dominante mozartienne placé sous la baguette de Vincent Monteil.
 
A noter enfin, deux initiatives qui montrent le désir des responsables de l’Orchestre Lamoureux d’inventer de nouvelles manières d’aborder la musique classique. Le 10 novembre marque le lancement des « Croque-Musique », rendez-vous du mardi midi à la Mairie du IVe ardt. de Paris où les auditeurs sont invités à venir faire leur pause déjeuner en musique. Quant au 14 février, il verra une première tentative de « Bébé Concert », formule pour les bambins de 0 à 3 ans et leurs parents (qui ont d’ailleurs aussi, rappelons-le, une garderie musicale à leur disposition pour l’ensemble des concerts de la saison).
 
Alain Cochard
(Entretien avec Pierre Thilloy réalisé le 2 septembre 2015)
 
Orchestre Lamoureux, dir. Ayyub Guliyev
Œuvres de Hadjibeyli, Garayev, Khanmammadov, Mustafazadeh, Amirov/Nazirova, Dukas et Thilloy
 
Dimanche 13 septembre – 17h
Paris – Théâtre des Champs-Elysées
www.concertclassic.com/concert/de-soie-et-de-feu
 
Saison 2015-2016 : http://orchestrelamoureux.com
 
 Photo Pierre Thilloy © Raphaël Creton

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