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Robert Carsen met en scène L’Affaire Makropoulos à Strasbourg - Elina univoque - Compte-rendu


Lancé depuis quelques années dans un cycle Janacek qui a produit au moins une réussite absolue - une relecture de Katia Kabanova qui rend enfin sa place à la nature, que l’Opéra du Rhin verra la saison prochaine le spectacle ayant étrenné les planches du Vlamse Oper, de la Scala et du Teatro Real (1) -, Robert Carsen s’est emparé de l’ouvrage scénique le plus radical du compositeur morave. Un peu trop tôt peut-être.

Comme nombre de ses confrères, Carsen «habille» l’ouverture : Elina Makropoulos remontent les siècles de son interminable existence en changeant successivement de costumes, épuisant tous les styles : un rideau en fond de scène ouvre sur les feux d’une rampe puis se referme, pour à nouveau s’ouvre, laissant revenir la cantatrice les bras chargés de fleurs.

Le metteur en scène canadien a une telle obsession du théâtre dans le théâtre qu’il s’est engouffré dans une seule des innombrables facettes de l’héroïne improbable dessinée au vitriol par Karel Capek.

Oui, Elina Makroupoulos est une cantatrice mais, au fond, son art est devenu un métier ; elle lui accorde une importance purement vaniteuse et n’y fait référence que pour railler ses glorieuses consœurs. Insistant à ce point sur son statut d’artiste – au II elle apparaît costumée en Turandot, dans le décor de la scène des énigmes, l’évocation de Lulu aurait largement été plus en situation – il ne finit par traiter que de cela : la volonté d’immortalité, le renoncement, l’amertume absolue du personnage, ses zones d’ombres mais aussi sa fantaisie ironique s’estompent au profit d’une cantatrice monstrueuse, une sorte de Tosca en négatif.

Réduction de sens mais aussi appauvrissement du propos : dommage par exemple de noyer la scène d’Hauk-Sendorf – parfait Andreas Jäggi - dans le ballet des admirateurs de la diva, dommage de contraindre le Gregor de Charles Workman à une gestique aussi outrée (il était bien plus finement dessiné par Warlikowski à la Bastille), dommage de ne pas donner sens au deux duos de séduction successifs ( il y avait mieux à faire pour celui du I avec Albert Gergor, où elle flirte consciemment avec la probabilité d’un inceste à rebours des générations et encore plus pour celui du II avec Jaroslav Prus, qui passe inaperçu, réduit à une simple conversation), dommage surtout de ne pas dessiner à un seul instant l’ambiguïté constante de ce caractère qui nous le rendrait proche. Au contraire, Elina reste un monstre froid et à la fin nous devient indifférente.

Ce semi-contresens est évidemment mis en œuvre avec beaucoup d’art : éclairages magiques, scénographie brillante (même si on peste toujours contre cette manie d’encombrer le plateau de ces meutes utilitaires, clercs de notaire triplés, aficionados, etc.), intelligence constante de la réalisation. Mais sur le fonds, elle reste sèche jusque dans la conclusion de la grande scène finale où Carsen pousse le narcissisme jusqu’à l’autocitation : on a déjà vu tout cela dans sa régie de Capriccio à Garnier. Cheryl Barker n’est jamais sulfureuse comme jadis Anja Silja et moins encore touchante comme sut l’être Angela Denoke à Bastille. On doit lui reconnaître une classe, une élégance, mais au fond le personnage n’en a rien à faire. Bravo au baryton mordant dont Martin Barta habille son parfait Jaroslav Prus, bravo surtout à la Krista d’Angélique Noldus, lumineuse, fine, mais aussi plus trouble qu’à l’habitude, véritable Elina Makropoulos en devenir.

Une impossibilité : l’Orchestre Symphonique de Mulhouse ne peut simplement pas tenir le niveau exigé par Janacek, et Friedemann Layer ne fait que sauver les meubles. Il faut les excuser : pris dans un bouchon monumental occasionné par un terrible accident sur l’autoroute reliant Mulhouse à Strasbourg, ils ont pris leur place en fosse avec une demi-heure de retard.

(1)Où il a été filmé avec une transcendante Karita Mattila dans le rôle titre (captation publiée en DVD chez Framusica)

Jean-Charles Hoffelé

Leos Janacek : L’Affaire Makropoulos - Strasbourg, Opéra du Rhin, le 12 avril, prochaines représentations à Mulhouse (La Sinne) les 19 et 21 avril 2011

www.operanationaldurhin.eu

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Photo : Alain Kaiser

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