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Roger Muraro dans les Années de Pèlerinage de Liszt à la Seine Musicale – Etat de grâce – Compte-rendu

Interprète majeur de Messiaen, Roger Muraro (photo) est aussi un lisztien de cœur qui a souvent remis sur le métier pas mal de partitions du compositeur hongrois. On oublie trop souvent l’attachement au romantisme de ce pianiste généreux qui a obtenu parmi d’autres récompenses un Quatrième Prix au Concours Tchaïkovski de Moscou en 1986, bien avant la médiatisation d’aujourd’hui. Avec l’intégralité des Années de Pèlerinage présentée à la Seine Musicale, il se confronte pour la première fois en public à un vaste itinéraire de trois heures et emporte l’enthousiasme par son approche ample et communicative.
 
Avec La Chapelle de Guillaume Tell, la qualité du toucher, presque debussyste, indique le chemin qu’emprunte l’interprète. Sans jamais déclamer de façon ostentatoire, sa vision claire, naturelle, voire impressionniste (Au lac de Wallenstadt, Pastorale), laisse place à la musique pure quelles que soient la maîtrise et la virtuosité dont il fait preuve. Il y a dans sa démarche une part de métaphysique, mais les orages désirés (Cloches de Genève, Vallée d’Obermann), se lèvent soutenus par des progressions dynamiques impressionnantes.
 
De la Deuxième Année, se détache une exécution renversante d’Après une lecture du Dante qui prend une dimension orchestrale d’une puissance physique à donner la chair de poule. Les trois pièces de Venezia et Napoli alternent vocalité contenue et frénésie acrobatique (Tarantella). Ailleurs, la fluidité bucolique, la subtilité du cantabile (les trois Sonnets de Pétrarque) laissent filtrer une émotion palpable. Le troisième cahier des Années, sous d’autres doigts, paraît souvent abstrait alors que Roger Muraro réussit, par un sens aigu du discours, à ne jamais lâcher l’auditeur. Pour varier l’écoute, il a choisi de jouer Angelus ! Prière aux anges gardiens, non pas sur le Steinway (au demeurant très bien harmonisé), mais sur un harmonium d’art Mustel de 1929 appartenant à la Collection Philippe Dufour. Une manière de mieux marquer l’intériorité et la simplicité monacale de cette première pièce. La gravité et la ferveur prévalent également (Cyprès de la Villa d’Este), et la dimension « stéréophonique » (Jeux d’eau à la Villa d’Este) ou l’héroïsme suggestif (Marche funèbre) sont restitués avec un sens du mystère et profondeur évocatrice. Impossible de sortir indemne d’une grandiose expérience pianistique qui pénètre le tréfonds de l’âme. Un miraculeux moment de musique, qui emporte très loin ...
 
 
Michel Le Naour
Boulogne-Billancourt, Auditorium de la Seine Musicale, 24 janvier 2020
 
Photo © Bernard Martinez
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