Journal

​Rusalka selon Stefano Poda au théâtre du Capitole – Le tchèque sied à Toulouse – Compte-rendu

 
Après les sommets d’excellence musicale atteints par la reprise de Jenufa il y a quelques mois, le Capitole persiste et signe dans l’exploration des opéras en langue tchèque, puisque Christophe Ghristi a décidé d’inscrire au répertoire de son théâtre la Rusalka de Dvořák. Il est réjouissant de constater que le public est venu en foule pour cette création toulousaine, et non moins agréable de noter que la production proposée pour l’occasion cumule les motifs de satisfaction.
 
© Mirco Magliocca
 
Stefano Poda avait été invité au Capitole pour la première fois en 2019, pour Ariane et Barbe-bleue. Le chef-d’œuvre lyrique de Dvořák repose sur un livret à la construction dramatique bien plus efficace que l’unique opéra de Dukas, seul le dernier acte voyant se succéder les scènes un peu moins bien liées entre elles. Fidèle à son habitude, le metteur en scène italien signe également les décors, les costumes, les lumières et la chorégraphie, et son univers irréel lorgnant parfois vers la science-fiction convient bien au monde féerique de cette version tchèque du conte d’Andersen. On a rarement vu en scène des ondins et des nymphes évoluer véritablement dans l’élément liquide, le plateau étant ici transformé en bassin pour le premier et le troisième acte. Le palais du prince renvoie, lui, à des réalités plus humaines : panneaux évoquant des circuits intégrés mais qu’on pourrait presque prendre pour des laques Art Déco, sacs-poubelle et ramassage des ordures pour le garde forestier et le marmiton.

Rusalka ne se change pas pour autant en Bal des sirènes : les évolutions des danseurs ne se contentent pas d’être belles plastiquement, elles reflètent aussi la violence de la musique, surtout lors du ballet à la Cour, et les corps des naïades s’entassent en compositions évoquant plus d’une fois Rodin. C’est à Rodin aussi, et à sa Cathédrale, que l’on songe en voyant ces deux mains colossales descendre des cintres, même si leur valeur symbolique n’est pas toujours limpide dans cette histoire où il est plutôt question de jambes et de queue de poisson tranchée.

© Mirco Magliocca

Revenant après Parsifal, Elektra et La Flûte enchantée, Frank Beermann propose une direction solide, qui exalte d’abord le côté terrien de cette forêt ou se situe la majeure partie de l’intrigue. L’Orchestre national du Capitole n’en sait pas moins faire miroiter les eaux du lac et scintiller les fastes du palais du prince, le chœur maison, peu sollicité par la partition, livrant de son côté une prestation tout en délicatesse.

Au sein d’une distribution sans faille, on remarque plusieurs artistes français : le marmiton bien timbré de Séraphine Cotrez, le garde forestier éloquent de Fabrice Alibert, et surtout, dans un rôle bref mais idéalement taillé pour sa voix, Béatrice Uria-Monzon, conquérante princesse étrangère. Au trio des nymphes vigoureusement caractérisé par Svetlana Lifar, Louise Foor et Valentina Fedeneva répond le superbe ondin d’Aleksei Isaev, dont il faut saluer à la fois la performance physique – le chanteur ne cesse de plonger la tête la première dans le bassin où se déroule l’action – et les qualités vocales : présenté comme « baryton » dans le programme, l’artiste a bien les couleurs de basse que l’on attend du personnage.
 

© Mirco Magliocca

Remplaçant Janina Baechle initialement annoncée, Claire Barnett-Jones est une Ježibaba pleine d’autorité, à qui l’on a fait la tête de l’oncle Fester dans La Famille Addams. Dans une tessiture tendue, où ses confrères sont parfois à la peine, le ténor Piotr Buszewski impressionne par l’aisance totale avec laquelle il incarne prince, sans effort apparent et en conservant toujours au personnage sa séduction.
Enfin, après avoir été à Toulouse Marguerite en 2016 et Traviata en 2018, Anita Hartig s’impose avec cette prise de rôle, son vibrato serré conférant à la sirène un caractère juvénile et brillant, la puissance de son aigu étant un autre atout précieux pour traduire les émois de la sirène. La saison 22-23 démarre donc avec éclat au Capitole, et l’on ne manquera pas les autres rendez-vous prometteurs qu’elle annonce.
 
Laurent Bury

 
Dvořák : Rusalka – Toulouse, Théâtre du Capitole, 6 octobre ; prochaines représentations les 9, 11, 14 & 16 octobre 2022 // www.theatreducapitole.fr/web/guest/affichage-evenement/-/event/event/6076217
 
(les deux dernières représentations étant filmées pour diffusion ultérieure ; France Musique diffusera un enregistrement le samedi 12 novembre)

Photo © Mirco Magliocca

Partager par emailImprimer

Derniers articles